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Cris ou chuchotements : le dilemne des cellules embryonnaires

Embryon d'ascidie © Léo Guignard
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Un travail paru dans la revue Science présente la reconstruction systématique au cours du temps de la géométrie et de l’arrangement des cellules des embryons d’un petit invertébré marin. Ces données démontrent que le processus de développement est très fortement reproductible à l'échelle de la cellule entre embryons. Les auteurs relient cette reproductibilité à l'échelle cellulaire à un mode de communication inhabituel, par contact direct entre cellules. Ce travail lie donc la portée des signaux cellulaires et l’échelle, cellulaire ou tissulaire, à laquelle la reproductibilité du développement est observée.

Communication du CNRS-INSB le 15 juillet 2020. Publication du RDP dans Science le 10 juillet 2020.

Au cours du développement embryonnaire, les cellules, en se divisant, adoptent des rôles de plus en plus précis dans l’organisme. Dans la plupart des embryons, dont les nôtres, ce processus est reproductible à l’échelle des tissus, mais les comportements des cellules individuelles varient d’un embryon à l’autre. Dans certains embryons cependant, dont ceux d’un petit invertébré marin, l’ascidie Phallusia mammillata, la reproductibilité du développement embryonnaire se fait à l’échelle celullaire : il est possible de nommer chaque cellule et de lui trouver une homologue dans chacun des embryons de l’espèce. Une étude récente a cherché à comprendre la manière dont les embryons contrôlent l’échelle, cellulaire ou tissulaire, à laquelle leur développement est reproductible.

La communication cellulaire est au cœur du processus de développement. Dans les embryons de vertébrés, les cellules ont un comportement très dynamique. Elles peuvent migrer sur de longues distances et changent fréquemment de voisines, des processus qui contribuent à la variabilité des comportements cellulaires entre embryons. Pour communiquer entre elles, elles utilisent principalement des signaux à longue portée, des morphogènes, que l’on pourrait caractériser de “cris”.  Mais que se passe-t-il dans les embryons de Phallusia, quelle est la dynamique des comportements de leurs cellules ? Et comment communiquent-elles entre elles ? La transparence optique de ces embryons a permis de quantifier leur morphogenèse et de décrire un autre mode de communication, plus discret.

Pour cela, les scientifiques ont commencé par enregistrer toutes les deux minutes le développement d’embryons vivants avec un microscope très performant à "feuille de lumière". Pour exploiter ce jeu de données de très grande taille, ils ont créé un logiciel qui détecte automatiquement chaque cellule, reconstruit sa géométrie et mesure sa position et les contacts qu’elle établit avec ses voisines, et ce jusqu’à un stade avancé du développement. Ce travail a confirmé la reproductibilité du développement à l’échelle cellulaire et montré que cette reproductibilité était même observée à l’échelle, subcellulaire, des surfaces de contact établies entre cellules voisines. De plus, les cellules bougent très peu les unes par rapport aux autres.

Pour mieux comprendre l’origine de cette reproductibilité, les auteurs ont enrichi leur description géométrique du développement de l’ascidie avec l’information du type cellulaire et des signaux moléculaires émis par chaque cellule. En intégrant par modélisation mathématique la géométrie embryonnaire avec ces deux nouvelles informations, ils ont montré que les signaux échangés par les cellules ont une très courte portée. A la différence des vertébrés, les cellules des embryons d’ascidies ont donc un comportement statique et figé et la portée de leurs signaux “chuchotés” est très faible.

Cette étude suggère qu’il est possible de construire un embryon sans morphogènes et qu’une forte corrélation existe entre la dynamique des mouvements cellulaires et la portée utile des signaux que les cellules échangent entre elles. En étendant le répertoire des mécanismes de communication cellulaire et en les reliant aux comportements cellulaires, ce travail ouvre de nouvelles perspectives sur la compréhension des stratégies d’auto-organisation des formes vivantes.

En haut : développement embryonnaire d’une ascidie de l’œuf jusqu’au têtard. La partie encadrée en blanc est la partie de l'embryogenèse que nous avons imagée puis segmentée (ci-dessous, cellules segmentées colorées selon leur destin cellulaire). La partie inférieure de la figure illustre que les cellules vert clair "chuchotent" des instructions à leurs voisines immédiates par des signaux à courte portée.
Figure 1 : En haut : développement embryonnaire d’une ascidie de l’œuf jusqu’au têtard. La partie encadrée en blanc est la partie de l'embryogenèse que nous avons imagée puis segmentée (ci-dessous, cellules segmentées colorées selon leur destin cellulaire). La partie inférieure de la figure illustre que les cellules vert clair "chuchotent" des instructions à leurs voisines immédiates par des signaux à courte portée. © Léo Guignard
Figure 3 : Embryon d'ascidie (P. Mammillata) en cours de développement dans lequel chaque cellule a été identifiée et reconstruite informatiquement. Les images individuelles montrent une superposition de l’image de microscopie et de la reconstruction informatique à des stades de développement de plus en plus avancés. Les couleurs indiquent le tissu que chaque cellule formera (exemple : les cellules rouges formeront les muscles de la queue).
Figure 3 : Embryon d'ascidie (P. Mammillata) en cours de développement dans lequel chaque cellule a été identifiée et reconstruite informatiquement. Les images individuelles montrent une superposition de l’image de microscopie et de la reconstruction informatique à des stades de développement de plus en plus avancés. Les couleurs indiquent le tissu que chaque cellule formera (exemple : les cellules rouges formeront les muscles de la queue). © Léo Guignard

 

Figure 2 : Embryon d'ascidie (P. Mammillata) en développement dans lequel chaque cellule a été identifiée et reconstruite informatiquement. Les couleurs indiquent le tissu que chaque cellule formera (exemple : les cellules rouges formeront les muscles de la queue). Rangée du haut : vues dorsales. Rangée du bas : vues latérales. Les panneaux montrent des vues de l'embryon de plus en plus anciennes, de gauche à droite.
Figure 2 : Embryon d'ascidie (P. Mammillata) en développement dans lequel chaque cellule a été identifiée et reconstruite informatiquement. Les couleurs indiquent le tissu que chaque cellule formera (exemple : les cellules rouges formeront les muscles de la queue). Rangée du haut : vues dorsales. Rangée du bas : vues latérales. Les panneaux montrent des vues de l'embryon de plus en plus anciennes, de gauche à droite. © Léo Guignard

 

Source : Contact-area dependent cell communication and the morphological invariance of ascidian embryogenesis. Guignard L, Fiuza UM, Leggio Laussu Faure E, Michelin G, Biasuz K, Hufnagel L, Malandain G,  Godin C, Lemaire P. Science, 10 juillet 2020.

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