Outils

Actualité de l'ENS de Lyon

Enigme de la "crise forestière" en Afrique Centrale

le lac Barombi Mbo
Communiqué de presse / Publication
 

Publication des travaux du Laboratoire de géologie de Lyon, Terre, planètes, environnement dans la revue PNAS.

Une équipe internationale, coordonnée par Yannick Garcin (Université de Potsdam) et impliquant des chercheurs français de l’IRD et de l’ENS de Lyon, a étudié les sédiments lacustres dans le Sud du Cameroun pour résoudre l’énigme de la "crise forestière" en Afrique Centrale. Les résultats de cette étude, publiés le 26 février 2018 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), révèlent que les transformations drastiques de l'environnement forestier n’étaient pas le fruit du changement climatique, mais d’origine anthropique.

Communiqué de presse IRD / Université de Potsdam / ENS de Lyon.

Champs, routes et villes, mais également plantations forestières et aménagements des cours d'eau : les humains modifient leur environnement naturel pour qu’il leur soit plus favorable, et cela depuis plusieurs millénaires, même dans les régions les plus reculées de la planète. Ces influences précoces sont bien documentées dans la forêt amazonienne. En revanche, l’impact anthropique en Afrique Centrale reste un sujet encore largement débattu, alors que des perturbations majeures s’y sont produites il y a 2 600 ans. 

Il y a plus de 20 ans, l’analyse des sédiments lacustres du Barombi Mbo au Sud Cameroun a révélé que les couches sédimentaires les plus anciennes contiennent principalement des pollens d’arbres reflétant un couvert forestier dense. 

À l’inverse, les sédiments les plus récents concentrent une proportion significative de pollens de savane : il y a environ 2 600 ans, la forêt primitive dense a ainsi rapidement laissé place à des savanes, modification qui a été suivie par un retour rapide à des forêts 600 ans plus tard. Pendant longtemps, ce changement soudain, baptisé "crise forestière", a été attribué à un changement climatique lié à une diminution de la quantité des précipitations et une accentuation de la saisonnalité. Malgré quelques controverses, l’énigme de l’origine de la crise forestière semblait résolue.

 © IRD - Université de Potsdam - Yannick Garcin : carottage des sédiments sur le lac Barombi Mbo, en 2014.

© IRD - Université de Potsdam - Yannick Garcin
Carottage des sédiments sur le lac Barombi Mbo, en 2014

Géochimie et archéologie 

Yannick Garcin, postdoctorant à l’université de Potsdam, à la tête d'une équipe internationale composée de géochimistes, paléoclimatologues et archéologues allemands, français et camerounais, suspectaient que d’autres causes pouvaient expliquer cette transformation profonde des environnements forestiers. 

En menant une nouvelle campagne de carottage du lac Barombi Mbo en 2014, ils ont reconstruit de manière indépendante la végétation et le climat de l'époque par l’analyse des isotopes stables des cires cuticulaires des plantes, fossiles moléculaires préservés dans les sédiments. L’équipe a confirmé un changement important de végétation pendant la crise forestière, mais elle a également démontré que celui-ci ne s’accompagnait d'aucun changement des précipitations. 

"L’existence de la crise forestière est avérée, mais elle ne saurait s'expliquer par un changement climatique", déclare Yannick Garcin. "En revanche, en étudiant plus de 460 sites archéologiques dans la région, nous avons mis en avant des arguments qui laissent penser que les humains sont à l'origine de ces changements environnementaux". 

Les vestiges archéologiques de plus de 3 000 ans sont effectivement rares en Afrique Centrale. Autour de 2 600 ans, simultanément à la crise forestière, le nombre de sites archéologiques augmente significativement, suggérant une croissance rapide de la population (probablement liée à l’expansion des populations Bantu en Afrique Centrale). "Cette période voit également, dans la région, l’apparition de la culture du millet, de l'exploitation des palmiers à huile et le développement de la métallurgie du fer", précise Geoffroy de Saulieu, archéologue à l'IRD.

Pour Guillemette Ménot (ENS de Lyon), "la combinaison des données archéologiques régionales et de nos résultats sur les sédiments du lac démontre de manière convaincante que les humains ont fortement généré des impacts sur les forêts tropicales en Afrique Centrale il y a plusieurs milliers d’années et qu’ils ont laissé des empreintes anthropiques détectables dans les archives géologiques". 

"Nous sommes ainsi convaincus que ce n’est pas le climat qui a provoqué la crise forestière il y a 2 600 ans, mais la croissance des populations qui se sont installées dans la région et ont dû éclaircir la forêt pour pouvoir cultiver des terres devenues arables", poursuit Pierre Deschamps (IRD-CEREGE). "Nous observons actuellement un processus similaire dans de nombreuses régions d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie". 

Cette étude apporte un nouvel éclairage sur la « crise forestière » en Afrique Centrale. Elle souligne également la capacité des écosystèmes à se régénérer. Quand la pression anthropique a diminué il y a 2 000 ans, les environnements forestiers se sont reconstitués, mais pas nécessairement à l'identique. Ainsi, en Amazonie comme en Afrique, les études de terrain montrent que la présence de certaines espèces témoigne d'activités humaines anciennes. 

Référence : Yannick Garcin, Pierre Deschamps, Guillemette Ménot, Geoffroy de Saulieu, Enno Schefuß, David Sebag, Lydie M. Dupont, Richard Oslisly, Brian Brademann, Kevin G. Mbusnum, Jean-Michel Onana, Andrew A. Ako, Laura S. Epp, Rik Tjallingii, Manfred R. Strecker, Achim Brauer, and Dirk Sachse. Early anthropogenic impact on Western Central African rainforests 2,600 y ago, PNAS, 2018, DOI:10.1073/pnas.1715336115.

Disciplines

Mots clés