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Actualité de l'ENS de Lyon

Éruption du Vésuve en l'an 79 : la perspective du plombier napolitain

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Publication dans PNAS

Vue depuis la baie de Naples de l’éruption du Vésuve de l’an 79, telle qu’imaginée par le peintre William Turner entre 1817 et 1820. © Yale Center for British Art, Collection Paul Mellon.

Près de deux mille ans après l’éruption du Vésuve qui détruisit Pompei et Herculanum, certains pans de l’histoire de Naples viennent d’être reconstitués. Jusqu’à présent, historiens et archéologues s’interrogeaient sur l’impact de cette éruption volcanique sur l’aqueduc Aqua Augusta, qui alimentait en eau Naples et les cités voisines.
De récentes analyses géochimiques ont permis d’établir un lien direct entre le plomb qui composait les canalisations d’eau de l’époque et celui piégé par les sédiments de l’ancien port napolitain. Elles prouvent, sans équivoque, que le réseau hydraulique a effectivement été détruit lors de l’éruption du Vésuve, en 79 après J.-C., et qu’il a fallu une quinzaine d’années pour le remplacer. Ces découvertes font l’objet d’une publication dans la revue PNAS le 16 mai 2016 par le laboratoire Archéorient – environnements et sociétés de l'Orient ancien (CNRS/Université Lumière Lyon 2) et le Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE, CNRS/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), en collaboration avec des experts internationaux.
C’est à l’occasion de la construction d’une nouvelle ligne de métro que des fouilles archéologiques ont été menées dans le port antique de Naples, aujourd’hui enseveli. Les excavations ont permis d’étudier les couches de sédiments qui se sont déposés dans l’ancien port au cours des siècles, sur six mètres d’épaisseur. Les analyses géochimiques de ces dépôts sédimentaires montrent que l’eau du port a été contaminée durant les six premiers siècles de notre ère par du plomb provenant du système d’adduction d’eau de Naples et des cités voisines.
Ce plomb, principal composant des canalisations, se dissolvait au contact de l’eau et se répandait dans les différentes fontaines et points d’apport des cités, pour finalement se déverser dans le port. L’étude de la composition isotopique de cet élément, c’est à dire la proportion des différents isotopes du plomb contenu dans les sédiments permet de retracer aujourd’hui des événements vieux de deux mille ans.
Les analyses ont principalement révélé deux compositions isotopiques du plomb bien distinctes, avant et après l’éruption du Vésuve en 79. Elles prouvent que le vaste système d’alimentation en eau de la baie de Naples a été détruit lors de l’éruption volcanique et que les réparations ont été effectuées avec un plomb extrait d’un ou plusieurs districts miniers différents. Ce changement brusque du signal du plomb, intervenu une quinzaine d’années après l’éruption volcanique, suggère que les Romains ont réparé l’aqueduc et les canalisations en un temps relativement court.
Cette étude permet également de reconstituer les différentes phases du développement urbain de Naples : du 1er au 5e siècle après J.-C., le plomb est de plus en plus présent dans les sédiments, laissant envisager une expansion du réseau hydraulique ou une intensification de ce réseau dans des secteurs déjà équipés. Dès le début du 5e siècle, par contre, les sédiments sont moins contaminés, révélant que le réseau d’adduction d’eau subit de nouvelles destructions liées aux invasions barbares (prise de l’aqueduc pour assécher la ville), aux nouvelles éruptions du Vésuve en 472 et 512, aux épidémies ou encore à l’effondrement économique et administratif de Naples.
Cette lecture des pollutions métalliques dans les sédiments portuaires anciens, qui permet de retracer l’histoire d’un territoire, pourra être transposée à d’autres civilisations, d’autres aires géographiques. Et à l’heure des débats sur l’Anthropocène, elle pourrait offrir de nouveaux éléments de réflexion sur la dynamique de l’empreinte de l’homme sur l’environnement.

Références : A lead isotope perspective on urban development in ancient Naples, Hugo Delile, Duncan Keenan-Jones, Janne Blichert-Toft, Jean-Philippe Goiran, Florent Arnaud-Godet, Paola Romano, Francis Albarède. PNAS, 16 mai 2016. DOI : 10.1073/pnas.1600893113

Presse


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Hugo Delile, géoarchéologue


Hugo Delile géoarchéologue ENS LyonLGLTPE PNAS Naples
Cette publication a pour premier auteur Hugo Delile, géoarchéologue. Post-doctorant CNRS au sein du laboratoire Archéorient (UMR 5133, Maison de l'Orient et de la Méditerranée), Hugo Delile a étudié la géographie physique à ses débuts, puis la géoarchéologie, ce qui l'a amené à collaborarer avec des archéologues et les géochimistes de l’ENS de Lyon. Depuis 2011 il poursuit ses recherches avec Janne Blichert-Toft et Francis Albarède, géochimistes au laboratoire de Géologie de Lyon (LGL-TPE). Il étudie les "archives sédimentaires" des bassins portuaires antiques dans lesquelles il s’est intéressé à la pollution au plomb des eaux de la Rome antique, puis à celle du port de Naples à l’époque de l’éruption du Vésuve.
Pour mener à bien ces travaux de recherche, de nombreuses équipes de recherche ont mis en commun leurs efforts et leurs moyens financiers. Ainsi, une ERC, portée conjointement par le Pr Simon Keay, archéologue anglais de l'Université de Southampton, et Pascal Arnaud, Professeur d’histoire romaine au sein de l’Université Lumière Lyon 2 (Laboratoire HISOMA, UMR 5189), finance actuellement les recherches d'Hugo Delile. Il s'agit du projet Portus Limen : Rome's Mediterranean Ports.
Hugo Delile a obtenu en 2015 le  Prix Jeune chercheur de la ville de Lyon

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