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Une découverte majeure en archéologie : plus de 7 000 outils inventoriés en Inde péninsulaire reculent l’âge du Paléolithique moyen

  Localisation du site archéologique d’Attirampakkam  © Université Lumière Lyon 2 – Yanni Gunnell
Communiqué de presse / Publication
 

Publication des travaux du Laboratoire Environnement Ville et Société dans la revue Nature.

Communiqué de presse Université Lumière Lyon 2.

Yanni Gunnell, professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et rattaché au laboratoire Environnement, Ville, Société (EVS1), et une équipe indienne menée par Shanti Pappu et Kumar Akhilesh, chercheurs au Sharma Centre for Heritage Education à Chennai (Inde), confirment la présence d’outils du Paléolithique moyen en Inde péninsulaire dès 385 000 ans, soit près de 250 000 ans avant ce qui était affirmé sur la base des découvertes réalisées jusqu’ici en Asie du Sud. Cela change la perspective concernant la chronologie de la diffusion hors d’Afrique de technologies lithiques que l’on pensait jusqu’ici élaborées en Afrique à partir de 300 000 ans au plus tôt, par l’homme anatomiquement moderne, Homo sapiens, notre ancêtre direct. Les résultats sont publiés le 1 février 2018 dans Nature.
 
Lors d’une première sortie d’Afrique qui s’est effectuée il y a au moins 1,7 millions d’années, des groupes d’homininés avaient déjà exporté avec eux l’instrument qui faisait à cette époque l’image de marque de cette culture - le biface acheuléen. Ces bifaces se sont propagés à travers l’ancien monde plus ou moins rapidement.  Dans la mesure où les vestiges préhistoriques fossiles (dents, crânes, squelettes) sont de manière générale extrêmement rares dans les archives terrestres, l’évolution des humains ou de leurs ancêtres en Asie est la plupart du temps reconstituée à partir de transformations que l’on détecte dans les assemblages d’outils, dont les caractéristiques contribuent collectivement à définir une culture préhistorique.  
 
L’équipe franco-indienne a analysé les couches stratigraphiques d’un site archéologique situé à Attirampakkam, à environ 70 km de l’actuelle métropole de Chennai en Inde, sur lequel elle avait déjà travaillé en 20112. Elle a inventorié et classé plus de 7 000 objets en quartzite dégagés des strates supérieures nouvellement datées du site de fouille, donc situées au-dessus des strates acheuléennes précédemment datées. Les nouvelles données documentent dès 385 000 ans un abandon graduel mais définitif des technologies acheuléennes, qui se miniaturisent puis disparaissent en faveur de stratégies de taille typiques du Paléolithique moyen, et notamment la très caractéristique méthode de débitage Levallois. Les techniques de débitage se sont transformées à Attirampakkam jusque vers 172 000 ans en deux phases bien distinctes, évoquant une culture locale en évolution dont les ressemblances et différences avec une multitude d’autres sites à travers le monde ont été répertoriées avec minutie par les chercheurs. Une raréfaction de la présence d’artefacts préhistoriques de toutes natures s’observe après 74 000 ans, peut-être en lien avec un abandon du site causé par l’éruption massive et bien documentée du volcan Toba à Sumatra (Indonésie) à la même époque.
 
De prime abord, le commencement de la période couverte par l’étude paraît trop précoce pour admettre qu’une migration hors d’Afrique d’Homo sapiens ait pu assurer la propagation de telles technologies du Paléolithique moyen jusqu’en Inde du Sud dès 385 000 ans. On doit néanmoins en inférer :  soit que ces dispersions humaines ont eu lieu beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait auparavant,   soit que des processus cognitifs autochtones, et donc parmi des espèces plus archaïques qu’Homo sapiens, ont contribué au développement des technologies du Paléolithique moyen en Asie du Sud.  Ces deux options ne sont a priori pas exclusives, mais en l’absence de vestiges fossiles, il demeure pour l’instant rigoureusement impossible de trancher entre les différents scénarios envisageables.
 
 
1 Laboratoire Environnement, Ville, Société (CNRS/Université Lumière Lyon 2/Université Jean Moulin Lyon 3/Université Jean Monnet Saint-Etienne/ENS de Lyon/ENSA Lyon/Ecole Nationale des Travaux Publics d’Etat/INSA Lyon/Mines Saint-Etienne)
 2 Cf. article paru dans Science le 25 mars 2011 – Early Pleistocene Presence of Acheulian Hominins in South India. Shanti Pappu, Yanni Gunnell, Kumar Akhilesh, Régis Braucher, Maurice Taieb, François Demory, Nicolas Thouveny (Vol. 331, Issue 6024, pp. 1596-1599, DOI: 10.1126/science.1200183)

 En tout cas, il devient nécessaire d’admettre que les sorties d’Afrique par des homininés dotés de cultures distinctes ne se sont pas réduites aux deux grands événements devenus classiques dans la littérature : Homo erectus avec ses bifaces durant le Quaternaire ancien, puis Homo sapiens avec ses Levallois au cours du dernier interglaciaire du Quaternaire moyen, soit à partir de 125 000 ans.  
 
De multiples dispersions d’espèces, jusqu’ici plus discrètes car mal documentées, ont pu s’être produites durant les périodes plus reculées du Quaternaire moyen. Par exemple, la période de 385 000 ans inclut un très long intervalle interglaciaire correspondant au stade 11 de la chronologie isotopique des sédiments océaniques, connu pour son climat plus chaud et plus humide que les interglaciaires ultérieurs, et durant lequel les déserts d’Afrique et du Moyen-Orient auraient été beaucoup plus verdoyants qu’aujourd’hui. Les chasseurscueilleurs auraient ainsi rencontré entre l’Afrique et l’Asie du Sud un continuum d’écosystèmes de steppe et de savane sans interruption majeure par une barrière désertique, favorable à la dispersion des faunes cynégétiques avec lesquelles ils ont co-évolué.  
 
Au site d’Attirampakkam, les sédiments ont été déposés au fil du temps par une petite rivière de faible énergie, déposant des lits de sédiments tantôt fins durant les périodes plus humides, tantôt plus grossiers durant des périodes plus arides du Quaternaire. Les homininés fréquentant le site pendant plusieurs centaines de milliers d’années avaient pour habitude de travailler ou retoucher leurs outils sur place, puis de les y abandonner in situ à l’air libre. Enfouis par des dépôts fluviatiles successifs, ces outils abandonnés s’y sont accumulés progressivement.  
 
Les datations des sédiments contenant les outils retrouvés ont été obtenues par une méthode de thermoluminescence et ont été réalisées dans l’un des laboratoires mondialement pionniers de ces méthodes à Ahmedabad (Gujarat) en Inde. Son principe repose sur le fait qu’un cristal de feldspath exposé au rayonnement issu de la radioactivité ambiante emmagasine de l'énergie, qu'il émet ensuite sous forme de lumière lorsqu’il est chauffé en laboratoire par une énergie lumineuse correspondant au proche infrarouge du signal de luminescence.  Dans une rivière ou sur un versant, le transport d’un grain minéral entraîne en peu de temps une remise à zéro des doses d’énergie qui avaient pu s’y accumuler antérieurement. Suite à l’immobilisation du grain par enfouissement dans un dépôt sédimentaire, en revanche, l’horloge radiométrique se remet en route, et l’âge que l’on obtient pour le sédiment correspond à la durée passée par le grain - mais aussi par l’outil préhistorique abandonné à la même profondeur stratigraphique que le grain - à l’abri de la lumière jusqu’au jour de son extraction en vue d’une datation.  La chronologie de la séquence culturelle a ainsi pu être établie grâce à une série d’échantillons datés à différents niveaux de la colonne stratigraphique.
 
Source : Early Middle Palaeolithic culture in India around 385–172 ka reframes Out of Africa models Kumar Akhilesh, Shanti Pappu, Haresh M. Rajapara, Yanni Gunnell, Anil D. Shukla & Ashok K. Singhvi.  Nature le 1 février 2018

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