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Actualité de l'ENS de Lyon

Cloé Korman : "Les Hommes-Couleurs"

Interview
 

Prix du Livre Inter 2010

Premier roman d'une ancienne élève de l’ENS Lettres et sciences humaines.

cloekorman.jpgSur la 4e de couverture de son livre la "bio" est très courte : 1,5 lignes : "CK est née en 1983. Les Hommes-Couleurs est son premier roman". Le livre de cette ancienne élève de l'ENS Lettres et sciences humaines, publié aux éditions du Seuil en janvier 2010 a reçu d'abord le Prix Valéry Larbaud, puis le Prix du Livre Inter. Le sujet du livre : les Mexicains prêts à tout pour passer la frontière vers les États-Unis. "La traversée des frontières est le sujet de ce roman".
  • Votre livre se passe aux États-Unis, au Mexique, vous y avez vécu ?
En 2005, j'ai fait un voyage au Mexique. Mais surtout ce livre a été écrit pendant ma 4e année à LSH, j'étais visiting scholar à l'université Columbia. C'était formidable. J'étais à NewYork, près du quartier hispanique. Il y a un affranchissement intellectuel à vivre dans un pays étranger.
Tout en me remémorant ce voyage fait au Mexique, je me suis plongée dans la lecture d'historiens et de sociologues américains. J'ai vraiment profité de la bibliothèque de Columbia. Les Américains ont une façon assez différente d'écrire les sciences humaines : ils écrivent de façon très narrative, et en même temps ils livrent des documents à l'état brut, font des citations extensives, ce qui aide beaucoup pour s'approprier ces matériaux.
Ce passage à l'Université de Columbia m'a également permis de suivre en cinéma des cours d'analyse de scénarios, qui permettaient d'étudier la dramaturgie des films, les rouages et les rythmes d'un récit.
  • C'est votre premier roman et vous le publiez chez un grand éditeur. Comment avez-vous fait ?
Pour la publication de mon livre, j'ai eu beaucoup de chance. Je connaissais indirectement une personne aux éditions du Seuil, sans l'avoir rencontrée. Du coup, j'avais aussi envoyé mon manuscrit par la poste à d'autres éditeurs. Le Seuil a répondu très rapidement, en moins de deux semaines. Peu après, Gallimard a voulu publier le livre, mais j'avais déjà rencontré mon éditeur au Seuil et beaucoup aimé ce premier contact, donc j'ai signé chez eux. Le Seuil me plaisait également car c'est une maison qui a une forte identité en sciences humaines et dans le domaine étranger, et qui fait beaucoup pour les jeunes auteurs.  
  • À la lecture de votre livre on sent que vous aimez jouer avec la langue : citer des phrases écorchées mais tellement plus vraies et émouvantes que le français correct. Vous faites également des néologismes : ingénieur métronome, paracomète...
Écrire permet de faire entendre la langue, de resémantiser des mots qu'on n'entend plus. Le fait d'avoir étudié l'anglais me permet d'avoir une distance avec la langue française, de savoir qu'il n'y a pas de fatalité de la grammaire ou du lexique. J'ai aussi beaucoup étudié et vécu dans la langue allemande, car mes parents sont alsaciens et juifs d'Europe de l'est : je connais donc des germanismes et des variations sur l'allemand, c'est intéressant qu'une langue ne soit pas figée mais se métisse.
Je ne connais pas l'espagnol, même s'il y a beaucoup de mots hispaniques dans ce livre. C'est par mes lectures des sociologues et historiens à Columbia que j'ai découvert l'espagnol, et dans proximité du quartier hispanique à Harlem. L'espagnol était aussi un moyen d'introduire une distance avec le français : en créant une langue française qui serait traduite de l'espagnol je pouvais recourir à une langue latine différente, qui faisait jouer le français. 

  • Pourriez-vous citer des livres qui vous ont marquée pour l'écriture de ce roman ?
Les écrivains mexicains ont beaucoup nourri mon imagination, et m'ont permis de donner chair à cette zone désertique et à la vie urbaine au Mexique. En écrivant ce roman j'ai relu et me suis remémoré les œuvres de Carlos Fuentes et Octavio Paz, ou les récits de Juan Rulfo, Pedro Paramo et Le Llano en flammes.

  • Votre livre est très documenté. Vous avez enquêté ? Ce tunnel qui conduit les migrants mexicains vers les États-Unis a-t-il vraiment existé ?
Ce livre est une fiction : le tunnel n'existe pas. Ce qui est par contre bien réel, ce sont les vagues de migration qui ont commencé au Mexique dans les années 1950. Je suis impressionnée par le contraste entre les moyens utilisés par les migrants pour traverser, souvent en mettant leur vie en péril, et l'horizon modeste qui les attire - vivre dans une démocratie, avoir des moyens pour envoyer ses enfants à l'école. J'ai donc inventé ce tunnel, qui est un autre moyen de traverser la frontière, plus doux et sans danger : le tunnel devient un lieu de vie pour ces migrants qui se l'approprient, le décorent, y font des fêtes.
Par ailleurs j'ai pu me servir de ce que j'observais de la communauté hispanique à New York. J'ai pu également visiter la ville Pullmann à Chicago, un vestige de cité ouvrière du 19e siècle très paternaliste, hyper-contrôlée.

  • Vous a-t-on demandé les droits pour le cinéma ?
Elle rit : Si c'est un film, ce tunnel, cela risque d'être cher à réaliser.

  • Vous écrivez sur ordinateur, avec un stylo ?
Les deux, avec beaucoup d'aller-retour entre l'ordinateur et le papier : j'écris sur l'ordinateur, j'imprime, je reprends au stylo, je retourne au clavier. Je prends aussi des notes sur des cahiers.

  • Une émotion, un souvenir de vos 4 ans à LSH ?
L'amitié. J'habitais sur le campus et j'ai noué des relations d'amitié dès la première année, des amitiés qui durent encore... Je garde aussi un souvenir extraordinaire des cours d'histoire des arts de Marie Gautheron.

  • Un conseil à donner aux étudiants actuels de l'ENS ?
Profitez des opportunités de séjours à l'étranger et d'un enseignement généraliste et humaniste, qui permet de se forger un esprit critique et une capacité d'apprendre, sans demande de rentabilité professionnelle immédiate ou de spécialisation inutile... J'ai vraiment apprécié.
NB : Passionnée de photo et de cinéma, Cloé Korman participera à l'évènement "Lyon Septembre de la photo", à l'invitation du service d'action culturelle de l'ENS de Lyon.

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