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La fermeture hermétique des coquilles bivalves : un puzzle résolu par la physique

Coquillage ©Régis Chillat
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Les bivalves et brachiopodes ont une coquille à deux valves s’emboîtant étroitement l’une dans l’autre, et assurant sa fermeture hermétique lorsque l’animal est rétracté à l’intérieur. Des chercheurs du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE, CNRS /Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon) et de l’Institut de mathématiques de l’Université d’Oxford (UK), ont développé un modèle mathématique expliquant les bases physiques de formation de cette caractéristique remarquable. Ces travaux sont publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Communication du CNRS-INSU le 17 décembre 2019.

Bivalves et brachiopodes appartiennent à deux groupes d’invertébrés ayant acquis indépendamment au cours de l’évolution une coquille à deux valves se fermant hermétiquement quand l’animal est rétracté à l’intérieur. Il est tentant de penser que la fonction protectrice de la coquille explique sa capacité à se fermer hermétiquement. Il n’en est rien, pas plus que la fonction de nos organes n’explique leur développement. Cette caractéristique soulève en fait de passionnantes questions de biologie du développement et d’évolution qui n’avaient pas été posées.

Bivalves et brachiopodes
Bivalves et brachiopodes appartiennent à deux groupes (phyla) différents ayant acquis indépendamment au cours de l’évolution une coquille à deux valves se fermant hermétiquement quand l’animal est rétracté à l’intérieur.

Bivalves et brachiopodes possèdent un manteau, organe membraneux élastique sécrétant la coquille par accrétion au niveau du bord lorsqu’elle est ouverte, et rétracté à l’intérieur quand elle est fermée. Comment se développent les bords des deux valves s’emboîtant très étroitement l’un dans l’autre quelle que soit leur forme, sachant qu’ils sont sécrétés à distance l’un de l’autre par deux lobes du manteau débordant légèrement du bord de la coquille lorsqu’elle est ouverte ? Question d’autant plus difficile pour les coquilles à bords ondulés, parfois en forme de zigzags, dont le bord des valves est le parfait antisymétrique l’un de l’autre, comme le bord des pièces d’un puzzle. Invoquer uniquement la génétique n’expliquerait pas les mécanismes de déformation des deux lobes du manteau, et soulèverait la question de la nature des signaux transmis entre eux pour une remarquable coordination de la croissance des valves et leur parfait emboîtement. Vu sous cet angle, ce puzzle parait insoluble.

Les cellules, tissus et organes obéissent aux lois de la physique, et celles-ci régissent en partie le développement des formes des organismes. Les auteurs ont dans ce cadre développé un modèle mathématique décrivant la physique de la croissance des coquilles bivalves, notamment des plus complexes à bords ondulés. Ce modèle montre que les deux lobes du manteau sont contraints mécaniquement dans leur croissance à la fois par la valve rigide qu'ils sécrètent, et par l’interaction réciproque qu’ils exercent l’un sur l’autre lorsque la coquille est légèrement ouverte et qu’ils sont en contact. Une instabilité mécanique élastique des deux lobes sous contrainte bi-axiale génère ainsi des oscillations antisymétriques enregistrées dans la croissance de chaque valve et conduisant automatiquement à ce que celles-ci, en phase, s’emboîtent très étroitement l’une dans l’autre comme les pièces d’un puzzle une fois le manteau rétracté.

 coquilles bivalves théoriques générées par le modèle
Le manteau sous contrainte mécanique biaxiale génère des oscillations d’amplitude et longueur d’onde variant selon deux paramètres, et s’emboitant l’une dans l’autre en fermant hermétiquement des coquilles bivalves théoriques générées par le modèle.

Bien qu’elle ait une évidence fonction protectrice, la fermeture hermétique des coquilles résulte du fait que les deux lobes du manteau minimisent leur énergie élastique au cours de la croissance, une propriété physique des objets élastiques qu’ils soient vivants ou non. Cette propriété fournit une forte adaptabilité à ces organismes, et explique par exemple que la fermeture hermétique soit assurée pour des coquilles dont les valves grandissent à des taux différents, celles devenues anormales suite à des traumatismes, ou pour les huîtres vivant fixées aux rochers, la valve libre s’emboîtant très étroitement à celle fixée au substrat quelle qu’en soit sa forme. De même, des similitudes de formes entre bivalves et brachiopodes (i.e. des convergences évolutives) sont prédictibles sur la base de propriétés géométriques et physiques de la croissance des coquilles.

Cette étude ouvre de nouvelles perceptives dans l’analyse des mécanismes génétiques modulant les paramètres physiques du développement (élasticité des tissus…), et donc de l’évolution morphologique des coquilles. De même, bivalves et brachiopodes ont depuis 540 millions d’années tiré bénéfice d’instabilités mécaniques pour sécréter le puzzle de leur coquille à deux valves, et pourraient inspirer des recherches en biomimétisme, la formation spontanée (auto-organisée) de structures à bords étroitement imbriqués à différentes échelles pouvant trouver des applications dans différents domaines d'ingénierie.

Source : Mechanics unlocks the morphogenetic puzzle of interlocking bivalved shells. Moulton D. E., Goriely A., Chirat R. Proceedings of the National Academy of Sciences (2019) doi: 10.1073/pnas.1916520116

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