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Actualité de l'ENS de Lyon

Contre la journée du 8 mars, par Muriel Salle

Clara Zetkin
Actualité
 
Chaque année, c’est la même chose. On consacre toute une journée, mais une journée seulement, à ce qu’il est coutumier d’appeler, sur les ondes comme à la télévision, « la journée de la femme ».
Mais le 8 mars est une journée « cache misère ». Au mieux, voilà l’occasion de se dédouaner, de s’acheter une bonne conscience à vil prix en organisant quelque manifestation dont l’envergure et l’efficacité sont souvent inversement proportionnelle à son niveau de médiatisation. Au pire, la chose prend une tournure commerciale aussi insupportable que contraire à l’esprit du 8 mars. On vous offre une fleur avec votre baguette parce que vous êtes une FÂÂÂME. On vous consent quelque fantastique réduction dans votre magasin de lingerie préféré pour mettre à l’honneur votre féminité. Cette année, la palme reviens, je crois, à la Caisse d’Epargne qui lance deux nouveaux visuels de carte bancaire (déclinés sur fond rose pâle ou doré) créés par Chantal Thomass. Les bénéfices de l’opération seront certes reversés à l’association « Le Cancer du Sein, Parlons-en ! », mais une fois de plus c’est une femme objectivée, toute en jambes et court vêtue, dépourvue de tête, qui est mise en avant.
Descriptifs de la carte en question :
"Deux élégants visuels de carte, qui allient le glamour à l’esthétisme. Disponibles en version Visa Classic et Visa Premier, les cartes affichent respectivement un fond pâle et doré, ornés d’un ruban et de jambes féminines sur talons aiguilles." Voir le site
On est tellement loin de Clara Zetkin (photo en vignette), socialiste allemande et figure historique du féminisme, qui en est une des initiatrices lors de l’Internationale socialiste de 1910 à Copenhague... Pour celle et ceux qui s’engagent à longueur d’années pour la défense des droits des femmes, le 8 mars est souvent une journée douloureuse. Toute la journée, le constat des inégalités persistantes et des violences sexistes est rappelé à longueur d’émission à des auditeur-trices et des téléspectateur-trices qui s’en foutent, voire s’en amusent. On est souvent mobilisé pour plusieurs conférences, rencontres ou débats et l’on court de l’une à l’autre en espérant qu’il sortira enfin quelque chose de cette vaine agitation.
Le Ministère des droits des femmes a lancé en 2013 l’opération « Le 8 mars c’est toute l’année ! ». Pour moi, c’est le seul mot d’ordre valable. Les droits des femmes n’ont que faire d’être fêtés. Il faut les appliquer, et rappeler que c’est un principe républicain que de réclamer, encore et toujours, comme la Constitution le précise, que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités, professionnelles et sociales ». Assez de déclarations d’intentions, assez de lois, assez d’opérations de sensibilisation. Venons-en au fait. L’égalité en droit ne suffit pas. C’est d’égalité réelle que l’on veut entendre parler désormais. Et des journées cosmétiques comme celle du 8 mars, ainsi que le grand bazar médiatique qu’elles suscitent n’aident pas. Pire, elles donnent le sentiment d’une surmédiatisation du sujet et finissent par agacer un grand public qui se demande « Mais qu’est-ce qu’elles veulent encore ! ».
Muriel Salle
Maîtresse de Conférences en histoire "Genre et Médecine"
Université Claude Bernard Lyon 1 - ESPE de Lyon
Laboratoire CRIS, Groupe GEM
Vice-Présidente de l'ARGEF