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Actualité de l'ENS de Lyon

Comment la régularité des organes émerge à partir de l’aléatoire des cellules

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Publication du RDP

Des directions aléatoires de croissance donnent des fleurs de taille et forme correctes. Photo S. Tsugawa, Université de Hokkaido.
Une équipe internationale (Université de Cornell, Université de Hokkaido, Institut Max Planck, École normale supérieure de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / CNRS / INRA) révèle comment une croissance aléatoire des cellules conduit à des organes de la bonne taille et de la bonne forme. Cette étude est parue le 11 juillet dans Developemental Cell. L'article fait la une du journal.
Qu’est ce qui fait qu’un éléphant ressemble à un autre éléphant, ou une souris à une autre souris ? Comment nos deux bras atteignent-ils des longueurs qui diffèrent de moins de 1% ? Malgré des progrès continus en biologie du développement, nous ne savons toujours pas répondre à ces questions simples en apparence. Autrement dit, l’une des questions les plus importantes questions ouvertes en biologie du développement est comment un organe « sait » s’arrêter de grandir lorsqu’il atteint la bonne taille et la bonne forme. Les plantes sont idéales pour répondre à ces questions car elles peuvent produire plusieurs fleurs presque identiques. Les études précédentes ont découvert des gènes qui font que toutes les fleurs sont plus grandes ou plus petites, ou qui font que toutes les cellules sont plus grandes ou plus petites. Nous ignorons toutefois comment toutes les fleurs d’une même plante s’arrêtent indépendemment de grandir à la même taille. Ce processus est d’autant plus frappant que des observations microscopiques montrent que la géométrie des cellules change de fleur en fleur, tout comme les plis de la peau ou la position des poils diffèrent entre nos deux bras.
L’équipe s’est attaquée aux mécanismes qui donnent des fleurs reproductibles chez la plante modèle Arabidopsis (arabette des dames), en utilisant une approche interdisciplinaire combinant la biologie, l’informatique, la physique et les mathématiques appliquées. Les membres de l’équipe ont observé les cellules vivantes des fleurs se divisant et grandissant avec un microscope optique moderne et ont mesuré les forces physiques au sein des tissus avec un microscope mécanique ; en utilisant des méthodes avancées d’analyse d’image et de statistiques, ils ont trouvé que le comportement des cellules apparaît comme significativement aléatoire, avec des cellules voisines grandissant dans des directions différentes.
A partir de ces observations, ils ont construit un modèle mathématique de croissance du tissu, duquel ils ont déduit que des formes reproductibles requièrent que les cellules changent en outre de direction de croissance aléatoirement dans le temps. Ce résultat peut se comprendre comme suit. Imaginons une foule dans laquelle chaque personne marche dans une direction aléatoire fixe ; la foule va vite se disperser. Si maintenant chaque personne change aléatoirement de direction toutes les cinq secondes, alors les personnes errent et la foule reste compacte plus longtemps.
Afin de tester ce modèle, l’équipe a recherché un gène tel que, en l’absence d’une version fonctionnelle de ce gène (qui est muté), les fleurs diffèrent en taille et en forme au sein d’une même plante. Elle a identifié un tel gène, qui régule le niveau des espèces chimiques oxydantes. Incidemment, l’augmentation du niveau de vitamine C (connue pour ses propriétés anti-oxydantes) dans des plantes normales rend les fleurs plus grandes. Chez les plantes dans lesquelles ce gène manque, la croissance cellulaire est moins aléatoire que chez les plantes normales, donnant, de façon surprenante, plus d’aléatoire dans la taille des fleurs.
Globalement, ce travail remet en cause la vision classique selon laquelle le développement d’un organisme est une chaîne bien orchestrée d’événements cellulaires et montre que l’ordre peut émerger du désordre dans le fonctionnement normal d’un organisme vivant.
Référence : Variable cell growth yields reproducible organ development through spatiotemporal averaging. L. Hong, M. Dumond, S. Tsugawa, A. Sapala, A.-L. Routier-Kierzkowska, Y. Zhou, C. Chen, A. Kiss, M. Zhu, O. Hamant, R. S. Smith, T. Komatsuzaki, C.-B. Li, A. Boudaoud & A. H. K. Roeder. Developmental Cell (2016) doi.org/10.1016/j.devcel.2016.06.016.

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