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Actualité de l'ENS de Lyon

Des "crashes" pour mieux comprendre la turbulence

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Publication d'une équipe internationale de physiciens dont Alain Pumir

Trajectoires de traceurs mesurées dans un écoulement turbulent. Les sphères indiquent les positions de particules à des instants successifs; une sphère sur dix a un grand rayon. Les différentes couleurs donnent une impression de la vitesse des particules : rouge = très rapide, bleu = lente, vert = intermédiaire. Photo DR
Vous l’ignorez sans doute, mais vous faites de la physique tous les matins, tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Les écoulements turbulents font partie de la vie quotidienne : lorsque vous mélangez café et sucre dans votre tasse, vous êtes confrontés à un écoulement turbulent... Les scientifiques travaillent depuis des décennies pour comprendre la physique de la turbulence, et ses conséquences pour les applications technologiques et environnementales. Pendant très longtemps, les écoulements turbulents ont été étudiés en mesurant leurs propriétés à des positions fixées – l’exemple le plus simple consistant à exposer un doigt mouillé pour évaluer la vitesse du vent. Au cours des dernières années, les scientifiques se sont mis à étudier la turbulence en observant des petites particules transportées par l’écoulement – comme des bulles de savon dans le vent.

Une équipe internationale, conduite par Haitao Xu, Eberhard Bodenschatz du Max-Planck Institute for Dynamics and Self-Organisation à Göttingen (Allemagne), et Alain Pumir, du laboratoire de physique de l’ENS Lyon, en visite à Göttingen dans le cadre du Prix Gay-Lussac Humboldt, ont découvert que les particules se comportent de manière surprenante dans les écoulements turbulents. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Science) du 2 mai 2014.
L’équipe a analysé expérimentalement des données obtenues à l’Université Cornell et à Göttingen,  dans un dispositif très simple.  Dans un récipient rempli d’eau, ils ont ajouté de petites particules ou « traceurs »; ils ont ensuite mis le fluide en mouvement et utilisé de puissants lasers. La lumière passe au travers du fluide et est diffusée par les particules. Avec des caméras à très haute résolution (jusqu’à 27.000 images par seconde), ils ont alors mesuré le mouvement des particules, ainsi que leur vitesse et leur énergie cinétique. ls ont observé que les particules perdent leur énergie plus rapidement qu’elles ne la gagnent. Ceci peut être compris par l’image de « crash »,  lorsque les particules décélèrent soudain dans une région du fluide où le fluide est lent. « On peut comparer la situation à une voiture qui accélère doucement, et qui doit ralentir brutalement dans une région où le trafic est plus lent », dit Haitao Xu. « De manière surprenante, cela rappelle les krach boursiers ».

Cette observation peut être utilisée pour caractériser l’ « irréversibilité » de la turbulence. De nombreux processus physiques sont réversibles du point de vue microscopique, ce qui rend impossible de distinguer, en regardant le mouvement des particules, la flèche du temps. La turbulence, elle, est profondément irréversible. Le mouvement des particules permet donc d’observer de manière assez simple cette irréversibilité. Les “crashs” sont robustes, et sont également observés dans des écoulements à deux dimensions, tels qu’une fine couche de fluide, ou un film de savon. Ces "crashs" pourraient nous mettre sur la piste d'une meilleure compréhension de la turbulence.

Références : Flight–crash events in turbulence, Haitao Xua, Alain Pumir, Gregory Falkovicha, Eberhard Bodenschatza, Michael Shatsh, Hua Xiah, Nicolas Francoish and Guido Boffettaa, PNAS, May 2nd, 2014

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