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Actualité de l'ENS de Lyon

Maurice Nadeau (1911-2013), hommage au critique et à l’éditeur

Maurice Nadeau
Actualité
 
« Je passe pour un “découvreur”. Pas mal d’écrivains, français et étrangers, connaissent la notoriété, certains la gloire, après avoir été publiés pour la première fois par moi. Je ne veux pas me faire plus modeste que je ne suis, mais il y a eu chaque fois d’heureux hasards, de bienfaisantes circonstances, de miraculeuses rencontres. Je me trouvais au bon endroit au bon moment. Attentif bien sûr, mais sans énervement, selon la pente d’une certaine nonchalance, qui me caractérise également, d’un certain fatalisme. “Ce qui sera sera” comme dit la chanson. Ce qui s’accorde mal, je le reconnais, avec cette obstination qu’on me reconnaît… »

Ce bref autoportrait à la fin d’un entretien que Maurice Nadeau m’avait accordé pour un dossier qui lui était consacré (1996) éclaire son parcours d’éditeur fait de rencontres. Impossible de citer tous les auteurs qu’il a contribué à faire connaître et publier : Samuel Beckett, John Michael Coetzee (prix Nobel de littérature, 2003), Henry Miller, Varlam Chalamov (Les récits de la Kolyma), Witold Gombrowicz, Georges Perec (Les Choses), Roland Barthes, Malcolm Lowry (Au-dessous du volcan) et Walter Benjamin, (les recueils Mythe et violence et Poésie et révolution traduits par M. de Gandillac). Et encore le médecin lyonnais Jean Reverzy, les poèmes de Pier Paolo Pasolini, les œuvres de Leonardo Sciascia, de J. P. Donleavy et du suédois Stig Dagerman, des inédits d’Henry James, mais aussi un ouvrage inspiré de la guerre de Bosnie Les deux fins d’Orimita Karabegovic de Jeanine Matillon, refusé par onze éditeurs, Michel Houellebecq (Extension du domaine de la lutte) ou encore des œuvres de Ling Xi.

Ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud (promotion 1931), Maurice Nadeau, disparu le 16 juin 2013 à l’âge de 102 ans, avait aussi consacré une large part de sa longue carrière à la critique littéraire. Issu d’une famille modeste, très tôt orphelin (son père est mort à Verdun), il commença à publier dès ses années d’École et enseigna jusqu’en 1945. Il déploya ensuite ses talents de journaliste puis de critique et d’éditeur – au sens scientifique et au sens commercial - dans plusieurs maisons d’édition dont les siennes, Les Lettres nouvelles et celle qu’il fonda sous son nom.

Son itinéraire politique l’a fait passer par le Parti Communiste, puis la Ligue communiste (trotskiste) dans les années trente, après sa rencontre avec Pierre Naville qui lui a fait connaître André Breton. Il fut actif dans la Résistance en même temps que David Rousset dont il publia Les jours de notre mort (rééd. 2012). Il entra en 1945 au journal Combat issu de la Résistance et dirigé par Albert Camus. Pascal Pia lui confia la page littéraire. La même année, il a publié son Histoire du surréalisme plusieurs fois rééditée comme son ouvrage sur Le roman français depuis la guerre (1963). Ce même esprit de résistance l’a amené à prendre position au moment du « Manifeste des 121 » défendant le droit à l'insoumission pendant la Guerre d'Algérie. Nadeau a publié aussi une anthologie de Sade précédée d’un essai (« Exploration de Sade »), une grande anthologie de la poésie française avec Robert Sabatier (1970-1972), une édition des œuvres complètes et de la correspondance de Flaubert (1970). Mais ce sont les livres qui venaient d’être écrits ou publiés qui ont le plus constamment suscité son enthousiasme.

L’entreprise qui requérait tous ses soins, cette année encore, était La Quinzaine littéraire. Le numéro 1086 de ce bimensuel fondé en 1966 avec François Erval vient de paraître. M. Nadeau l’a dirigé à partir de 1970, longtemps assisté par Anne Sarraute (1930-2008), fille de Nathalie Sarraute. Il était entouré de nombreux collaborateurs bénévoles dont Pierre Pachet. En mai dernier, Nadeau avait alerté le monde littéraire des difficultés financières que connaissait La Quinzaine, le mécénat de la maison Louis Vuitton ne soutenant que sa collection sur les voyages.

Maurice Nadeau avait reçu le Grand prix national des Lettres en 1988 et était Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres. Je revois un homme de haute stature, accueillant, attentif et lucide, familier de son siècle et de la littérature, à la passion communicative. De son itinéraire, témoignent plusieurs ouvrages de souvenirs et chroniques littéraires dont Grâces leur soient rendues (1990), Serviteur ! (2002), Une vie en littérature (2002) et Journal en public (2006).

Maurice Nadeau

Pupille de la nation, Maurice Nadeau entra à 20 ans à l’École normale supérieure de Saint-Cloud puis devint instituteur. Homme de son siècle, voire de 2 siècles, il fut de tous les combats politiques et littéraires, avec un rare talent de découvreur d’auteurs qui auront marqué leur temps. Il y a un mois à peine, il défendait l’avenir du journal qu’il avait créé, au bord de la faillite, La quinzaine littéraire.

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