Au voisinage (nanométrique!) d'une tête de fissure dans un
matériau vitreux
La fracture et la dynamique de migration d'ions sont des problèmes d'un grand intérêt dans des domaines comme les géosciences, chimie, physique et science des matériaux. La tête de fissure est une région où les contraintes sont telles qu'elles altèrent la structure même du matériau. Une excellente illustration en est, par exemple, la mise en évidence récente - sur laquelle j'insisterai dans la première partie de mon exposé- de cavités d'endommagement [1] de taille nanométrique en avant de la tête de fissure. Par un montage expérimental original, sous atmosphère contrôlée, couplant un microscope à force atomique (AFM) et une table d'application de contraintes mécaniques, nous avons en effet pu suivre l'avancée basse vitesse d'une tête de fissure dans des matériaux vitreux. Il a été ainsi possible de montrer que la fissure se propageait, dans des verres silicatés étudiés à une température nettement inférieure à leur température de transition vitreuse, par nucléation, croissance et coalescence de ces cavités d'endommagements. Ce comportement est très voisin du mode de rupture ductile de matériaux métalliques, communément observé mais à des échelles de longueur nettement supérieures (micrométriques). Le concept de nanoductililité avait été alors introduit pour des matériaux macroscopiquement considérés comme fragiles mécaniquement. De plus, la présence d'un gradient de contraintes dans un solide peut engendrer la migration d'espèces chimiques au sein de celui-ci [2]. Des travaux récents soupçonnaient l'intervention d'un tel processus lors de l' « arrêt » d'une fissure dans des matériaux vitreux [3]. C'est dans ce contexte que nous avons suivi, toujours par AFM travaillant sous atmosphère contrôlée, le cheminement d'une fissure dans un verre silicaté alcalin. Nous avons ainsi mis en évidence directement la migration d'espèces chimiques au voisinage immédiat de la fissure dans le champ de contraintes. Cette migration s'observe sous la forme d'apparition et de croissance de « plots » de dimensions nanométriques. Les principales caractéristiques de ce phénomène (distance moyenne entre plots, largeur de la zone contaminée', vitesse de croissance,) seront présentées. Nous insisterons sur l'effet de la contrainte mécanique locale sur la vitesse de diffusion, l'importance du taux d'humidité relatif, ainsi que la nature des espèces chimiques en migration. Un lien sera fait avec les études réalisées par simulation en Dynamique Moléculaire [4], ou encore par diffusion de neutrons [5], qui tendent à montrer, dans une matrice de silice, l'existence de canaux qui serviraient de chemin préférentiel pour le déplacement des ions alcalins.
[1]. F. Célarié, et al. Phys. Rev. Letters 90 ( 2003) 075504
[2]. F. Larché, J.W. Cahn Acta Metallurgica 30 (1982) 1835
[3]. J.-P. Guin and S.-M. Wiederhorn J Non-Cryst. Solids 316 (2003) 12
[4]. J. Horbach, W. Kob and K. Binder Phys. Rev. Letters 88 ( 2002) 125502
[5] A. Meyer et al. Cond-mat/0401152v1