Les cadrans de l’Hôtel-Dieu de Lyon
PAUL GAGNAIRE M.A.J : 02 / 12/ 2003
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Le promeneur qui remonte la rue Bellecordière, en souvenir de Louise Labbé, parvient à la place de l’Hôpital. Qu’il franchisse la porte cochère ouverte à sa droite et le voici dans un cloître en quadrilatère inégal, bordé par 40 arcades ; il se trouve dans la Cour Antoine Charial de l’Hôtel-Dieu. Mais, s’il a pris la peine de lire la vieille plaque qui surmonte le porche, il sait aussi que ces arcades formaient autrefois l’enceinte du ‘’Grand Hostel Dieu ‘’ de Lyon. L’institution remonte au XIIème siècle, mais une pieuse tradition en met l’origine entre les mains bienfaisantes du couple royal formé par Childebert et la reine Ultrogothe, vers 542. Sous le nom de ‘’Hôpital de Notre-Dame de Pitié du Pont du Rhône ‘’ il joua un rôle complexe dans le Haut Moyen Âge luttant contre les pestes, les famines, les maladies ; secourant pèlerins, marchands, vieillards, mourants ou voyageurs, orphelins ou ‘’filles perdues’’. En 1532, François Rabelais y obtint le poste de médecin-chef mais n’y demeura que jusqu’en février 1535.
Au dessus des arcades, les murs ont été soigneusement ravalés, il y a une quinzaine d’années et l’on voit, sur trois des quatre façades, une grosse pierre de couleur claire, à la surface irrégulière, probablement bouchardée à dessein, pour bien accrocher un enduit à venir, qui serait forcément d’une autre couleur que celui du ravalement, sinon la mise ‘’en réserve‘’ de ces trois pierres ne s’expliquerait pas.
L’une d’elles porte un gros tronçon de tige métallique, cassée presque au ras de sa surface, et donne la réponse à cette petite énigme : il s’agit des vestiges de trois cadrans solaires, piquetés jusqu’à l’âme, sans doute pour être restaurés ou, pour mieux dire, car il ne reste rien de leur tracé, recalculés, retracés et repeints. Une telle opération ne peut que s’analyser comme une création nouvelle, à moins que des érudits ne retrouvent des documents montrant ce qu’avaient été ces cadrans au temps de leur splendeur.
Si l’on prend la peine de conduire une petite analyse gnomonique de la situation, on ne peut que savourer les charmes singuliers et les enseignements que devait procurer cette configuration de trois cadrans diversement orientés. Voici ce que nous avons noté, avec l’avertissement que nous n’avons pu procéder qu’en simple touriste, sans équipement convenable : nos mesures et les conclusions qu’elles introduisent doivent donc être acceptées avec un certain relativisme.
Le cadran du mur Sud (ou, plus justement dit : le cadran du côté Sud du mur qui est au nord sur notre plan), décline de 10° vers le sud-ouest ; celui du mur Ouest, ( qui se trouve donc sur la face Ouest du mur situé à l’est sur notre dessin), décline de 105° vers le nord-ouest ; celui du mur Nord (donc la face Nord du mur situé en bas de notre dessin), décline de 150° vers le nord-est. On voudra bien accepter que, par facilité d’écriture, nous appelions ainsi ces murs, bien qu’aucun ne soit strictement méridional, oriental ou occidental. Nos dessins ‘’HôtelDieu_1’’ et ‘’HôtelDieu_2’’ permettent de se représenter la configuration du cloître et la position des cadran, au-dessus de l’arcade médiane de leur mur. Le second dessin montre le secteur de l’horizon qu’embrasse chaque cadran, avec les repères des 4 directions cardinales et la fourchette azimutale des levers et couchers extrêmes du Soleil, aux solstices et aux équinoxes.
On sait que, pour qu’un cadran solaire soit illuminé, il faut que deux conditions soient simultanément réalisées : Soleil au-dessus de l’horizon (déjà levé et pas encore couché) ; Soleil devant le plan du cadran. En effet, tout cadran plan partage le monde en deux moitiés : celle qui se trouve devant lui et celle qui se trouve derrière lui. Si le cadran n’est pas un horizontal ou un équatorial biface, la section de l’horizon par son plan détermine ses heures de fonctionnement.
A eux trois, les cadrans embrassent la totalité de l’horizon et procurent donc, en toute saison, la totalité des heures ensoleillées ; un quatrième cadran sur le mur Est (côté cloître du mur de gauche de notre dessin), n’eût apporté aucun renseignement supplémentaire.
Les graphiques numérotés ‘’HôtelDieu_3 ‘’, HôtelDieu_4’’ et ‘’HôtelDieu_5’’ présentent, pour chacun des cadrans, sur toute l’année, les heures de lever et de coucher du Soleil et les heures où il entre devant le cadran puis en sort. Leur interprétation se fait sans difficulté d’entendement : la journée ‘’claire’’ comprise entre le lever et le coucher du Soleil est colorée en bleu et en jaune. Elle a, évidemment, même valeur pour chacun des cadrans puisqu’elle ne dépend pas de l’existence de ceux-ci. Elle se subdivise, en revanche, différemment pour chaque cadran, en bleu et en jaune : le cadran est illuminé pendant la période jaune et il est éteint pendant la période bleue. Ses heure horizontales, du matin et du soir, sont atteintes les jours où les courbes des levers et des couchers coupent celles des entrées et des sorties. Elles sont, évidemment, symétriques par rapport aux axes solsticiaux. Elles n’existent pas sur le cadran qui regarde le nord-ouest puisque sa déclinaison le fait sortir de la fourchette azimutale
Il nous faut ici rendre le lecteur attentif à un détail tout à fait singulier qu’il a peut-être déjà remarqué sur le graphique des horizons : le cadran vert regarde l’horizon depuis l’azimut 300° jusqu’à l’azimut 120°, ce qui veut dire qu’ à la période du solstice d’été, le Soleil va se coucher devant lui, dans l’azimut 305°. Il bénéficiera donc de deux illuminations et de deux extinctions : l’illumination précoce, du lever du Soleil jusqu’à son passage derrière le cadran, lorsqu’il franchit l’azimut 120° ; l’illumination tardive lorsque le Soleil ressort de derrière le cadran, dans l’azimut 300°, jusqu’à son coucher dans l’azimut 305°. Ce second fonctionnement estival correspond à la mince lunule jaune qui s’étire de 19 heures 15 minutes à 19 heures 45 minutes, entre fin mai et mi-juillet, très approximativement. Mais, bien évidemment, et quoique la réfraction atmosphérique relève beaucoup l’astre en train de se coucher, ce fonctionnement tardif risque de n’être qu’une possibilité théorique : les collines vers le nord-ouest et les maisons proches de l’Hôtel-Dieu sont autant d’obstacles.
Notre figure ‘’HôtelDieu_6’’ montre le tracé « en squelette » des heures rondes sur les trois cadrans. Les cadrans qui déclinent de plus que 90°, vers le nord-est ou le nord-ouest, porteraient des styles polaires boréaux, c'est-à-dire dont l’extrémité libre pointerait le pôle Nord céleste. Toutefois, les vestiges observés ne montrent pas la présence de tels styles ; peut-être les styles d’origine étaient-ils des styles droits perpendiculaires aux façades, ce qui n’est pas plus difficile à reconstituer.
Sur le dessin du cadran N.W. remarquer la ligne XX dont le numéro est entre parenthèses pour signifier qu’à 20 heures le Soleil est toujours couché.
Sur le dessin du cadran N.E. remarquer les parenthèses aux chiffres IV (Soleil pas encore levé) et au chiffre X (Soleil derrière le plan du cadran. Mais la présence du chiffre X facilite l’interpolation pour IX h. ¼ ; pour IX h. ½ ; pour IX h. ¾. Remarquer aussi la ligne XIX h. ½ déjà évoquée ci-dessus.
Les trois photos numérotées ‘’HôtelDieu_7 ‘’, ‘’HôtelDieu_8’’ et ‘’HôtelDieu_9’’ appellent les remarques suivantes :
Photo’’HôtelDieu_7’’ : Le cadran N.E. présente un gros trou, haut dans l’axe médian, qui semble bouché par une cheville de bois d’où émerge un tronçon de tige métallique rouillée. Photo’’HôtelDieu_8’’ : Le cadran S.W. présente une large fente verticale dans l’axe médian rebouchée au ciment et piquetée de marques très serrées.
Photo’’HôtelDieu_9’’ : Le cadran N.W. présente, peut-être, un trou rebouché au ciment dans le haut de l’axe médian.
Nous terminerons cette brève description en souhaitant que la Ville de Lyon et l’Hôtel-Dieu prennent conscience de l’intérêt de ces trois tristes vestiges et entreprennent leur restauration, après avoir tenté de retrouver tous les documents anciens qui leur auraient été consacrés : photos, cartes postales, plans d‘architectes, devis et factures, articles de journaux.
Ainsi cette restauration pourra-t-elle intervenir dans le respect du passé et du patrimoine que nous lui devons.