NOUVEAUX APERCUS GNOMONIQUES A PROPOS DE L'ABBATIALE DE SAINT-ANTOINE EN DAUPHINE.

Par Paul Gagnaire

I Paramètres utilisés. 1

II La nature des cadrans solaires à réflexion. 2

1) Le cadran horizontal 2

2) Les 20 cadrans verticaux déclinants 3

3) Les 2 cadrans cylindriques concaves 3

4) Les 2 cadrans cylindriques convexes 4

III La nature des heures manifestées par les cadrans. 4

1) Le système des heures vraies locales. 4

2) Le système des heures babyloniques 5

3) Le système des heures italiques 5

4) Remarque complémentaire. 5

IV Conclusion.. 6

V Annexes. 6

Les préoccupations gnomoniques des Antonins qui possédaient l'abbaye de Saint-Antoine en Dauphiné, ont déjà été exposées dans le N°55 / été 1989, du Bulletin de l'Association nationale des Collectionneurs et Amateurs d'Horlogerie ancienne, (ANCAHA),sous la plume de Messieurs Yves et Marcel GAY et Charles Morat.

Nous nous intéressons plus spécialement, ici, au cadran solaire à réflexion qui occupe les deux étages supérieurs de l'escalier hélicoïdal du clocher. Ce cadran se développe sur l'envers des marches et des contremarches, sur la paroi cylindrique verticale qui forme la cage et sur le fût central, également cylindrique.

Le fonctionnement de ce cadran, aux aspects parfois déroutants, consiste dans le trajet, sur les surfaces gnomonisées, d'une petite tache de lumière qui y parcourt ou y coupe des lignes de couleurs traditionnelles numérotées en chiffres romains.

Cette tache de lumière est produite par un rayon de Soleil venu frapper un petit miroir placé sur l'appui horizontal des quatre fenestrelles supérieures du clocher, d'où il est réfléchi sur le cadran.

La visite de cet escalier est difficilement possible au public non spécialisé, aussi le Club Astronomique de Lyon-Ampère a-t-il eu l'heureuse idée de confectionner une maquette à l'échelle du 1/20ème , qui, après avoir figuré aux expositions de la Semaine de la Science, à Lyon ( octobre 1999 ) permet, désormais, aux visiteurs de Saint-Antoine de se faire une bonne idée de l'ouvrage. Le créateur de la maquette est Monsieur Henri-Jean MOREL, du C.A.L.A.

La présente notice s'inscrit à la suite des travaux de Messieurs GAY et MORAT, sans les rendre caducs; au contraire, son esprit est de les prolonger. En particulier, elle pourrait n'être pas inutile aux visiteurs qui ne se feraient pas une idée d'ensemble des cadrans, car ils ne les voient que morcelés sur de petites surfaces.

Pour la commodité des dessins, nous nous sommes accordé quelques libertés avec les données rigoureuses du document de référence, mais mineures et, d'abord, citées ici.

I Paramètres utilisés

1°) la latitude de Saint-Antoine est prise pour 45° alors qu'elle vaut 45° 10' 40''.

2°) deux fenestrelles superposées sont séparées par, exactement, 20 marches, alors qu'en réalité ce n'est qu'un nombre encadrant 19. Il s'en suit qu'un plan horizontal de 360° est divisé, ici, en 20 fois 18°.

3°) les miroirs sont posés sur deux fenestrelles superposées qui s'ouvrent sur l'azimut 45° Sud-Est et sur deux fenestrelles superposées qui regardent l'azimut 45° Sud-Ouest. Mais cette orientation n'a pas d'importance, ici.

Il suffit de noter qu'en comptant les azimuts comme les astronomes, les fenestrelles Sud-Est embrassent l'horizon depuis l'azimut -135° jusqu'à l'azimut 45°. Les fenestrelles Sud-Ouest le font de l'azimut -45° jusqu'à l'azimut 135°.

Ce qui compte, ce sont les azimuts que les piédroits verticaux des montants des fenestrelles imposent comme limites au passage des rayons solaires. Nous fondant sur le dessin N°59 de la page 58 du Bulletin, nous admettons que les plans limiteurs coïncident avec les azimuts 0° et 90° Ouest, pour les fenestrelles Sud-Ouest, et à 0° et -90° pour les fenestrelles Sud-Est.

Ainsi l'azimut du Soleil serait capté depuis -90°, soit le plein Est jusqu'à 90°, soit le plein Ouest. Le méridien, passant par chacun des quatre miroirs, offre quatre lignes de midi qui, au XVII ème siècle n'ont pas été tracées.

Le premier vertical passe au ras des autres piédroits et il n'a pas été matériellement possible de pousser les tracés jusqu'à lui.

4°) les contremarches mesurent 20 centimètres de hauteur, tout comme leurs envers. Pour notre propos, les nez des marches s'alignent dans les azimuts multiples impairs de 9°, soit: 9°, 27°, 45°, 63° etc. Pour illustrer cela disons que le visiteur peut s'asseoir sur chaque appui de fenêtre, en conservant les deux pieds sur la même marche.

5°) le diamètre de la cage cylindrique vaut 2,70 mètres et celui du fût central 0,40 mètre.

Désormais, nous pouvons étudier les cadrans, fragmentés sur les différents supports qu'offrent les éléments du clocher, et différencier les types de temps qu'ils manifestent.

II La nature des cadrans solaires à réflexion.

Nous trouvons les types suivants:

1)   Le cadran horizontal

1°) 1 cadran horizontal sur les plateaux de l'envers des marches. Ce cadran horizontal est, concrètement, le seul horizontal du clocher, mais, comme tout cadran horizontal, il est aussi universel pour tous les lieux situés à la même latitude que lui, puisque les paramètres d'un horizontal ne consistent qu'en sa latitude et l'angle horaire du Soleil, ( à raison de 15° pour une heure de temps vrai). La valeur des lignes tabulaires qui, sur la table du cadran, marquent les angles horaires du Soleil, dépend de la formule: tan(Z) = sin(PHI) * tan(AH).

Le fait que les lignes tabulaires se déploient, après réflexion sur le miroir, sur des surfaces situées à des niveaux différents n'a d'incidence que sur leurs longueurs et sur leurs bornes, mais absolument pas sur leur éventail angulaire.

Le miroir fonctionne comme l'extrémité d'un style polaire ou l'extrémité d'un style droit qui se joindraient en ce point électif; le style polaire est confondu avec l'axe du monde. Le style droit est vertical.Il n'y a aucune différence gnomonique ni tabulaire entre un cadran horizontal posé sur le sol (cadran supérieur) et un cadran horizontal tracé sur le plafond (cadran inférieur), et éclairé par un miroir où se réfléchit le rayon solaire.

En outre, l'ombre tourne en sens horloge sur l'horizontal regardant le ciel, mais, sur un cadran plafonnier, la tache de lumière tourne en sens anti-horloge puisqu'elle est vue de dessous.

Seule la façon de retourner les chiffres, pour le confort du consultant, les différencie, au besoin.

En outre, l'ombre tourne en sens horloge sur un cadran regardant le ciel, mais la tache de lumière, vue par en-dessous, tourne en sens anti-horloge.

La planche N° 1 illustre, en coupe verticale Nord-Sud, le principe du cadran horizontal à réflexion.

La planche N° 2 montre ce cadran, tracé à l'échelle du clocher, en ignorant tous les obstacles qui, sur le terrain, s'opposent à la progression des lignes. Par exemple, il est clair que les lignes VIII et XVI qui butent sur le pilier ne vont pas au delà. Mais il nous a paru intéressant de donner une vue d'ensemble, théorique.

Cette planche N° 2, en effet, donne une image synthétique de l'escalier dans le Soleil et ce qui n'est pas perçu, parce que dissimulé sous les obstacles de la maçonnerie, n'en est pas moins conçu par l'esprit du gnomoniste.

2)   Les 20 cadrans verticaux déclinants

20 cadrans verticaux déclinants, un sur l'envers de chaque contremarche. Mais, en pratique, il y en a moins, puisque tous les envers des contremarches ne sont pas accessibles à la tache solaire.

Tous ces verticaux sont différents les uns des autres par suite de la valeur, unique pour chacun d'eux, de leur déclinaison gnomonique. D'un vertical à ses voisins, il existe une variation de 18° de la déclinaison puisque tel est l'angle azimutal entre chaque plan des envers des contremarches.

Si, comme déjà dit, nous admettons que chaque nez de marche s'aligne sur les azimuts 9°, 27°...il s'en suit que les plans des envers des contremarches ( évidemment perpendiculaires aux nez ), manifesteront, eux aussi, mais avec un décalage de 90°, des déclinaisons gnomoniques de 9°, 27°, 45°, etc. Ainsi tout point de l'horizon, entre les deux points extrêmes des levers/couchers, lors du solstice d'été, pourra être regardé par l'un ou l'autre des cadrans verticaux, chaque cadran balayant les 180° d'azimut qui lui font face.

A la latitude de Saint-Antoine, le Soleil du solstice d'été se lève dans l'azimut -125°, vers le Nord-Est, compté depuis le Sud et en sens anti-horloge. Il se couche dans l'azimut symétrique de 125°, vers le Nord-Ouest, compté depuis le Sud, mais, cette fois, en sens horloge.

Comme le sens de montée de l'escalier est senestrogyre, la déclinaison d'un envers de contremarche est inférieure de 18° à la valeur de l'envers immédiatement inférieur.

Exemple: un nez de marche s'aligne, exactement dans l'azimut 0°, plein Sud. Sa contremarche regarde l'azimut -90°, plein Est et l'envers de cette contremarche regarde l'azimut supplémentaire de 90°, plein Ouest.

La marche à monter, ensuite, aura une contremarche déclinant de -108°, au Nord-Est et un envers de contremarche déclinant de 72° vers le Sud-Ouest.

Rappel: Formulaire des cadrans verticaux déclinants:

- angles tabulaires formés par les lignes horaires avec la ligne de XII heures (verticale):

tan(Z)=cos(PHI)/cos(D) * cotg(AH) + sin(D) * sin(PHI)

- angle de la sous-stylaire avec la ligne XII:

tan(beta) = sin(D) * cotg(PHI)

- angle aérien du style avec sa sous-stylaire:

sin(alpha) = cos(D) * cos(PHI)

La planche N° 4 montre l'aspect du cadran vertical méridional, avec le parcours de l'ombre en sens anti-horloge et, au contraire, de la tache de lumière en sens horloge.

3)   Les 2 cadrans cylindriques concaves

2cadrans cylindriques verticaux, intérieurs, (cavernes), sur la paroi cylindrique concave de la cage d'escalier. En réalité, il s'agit d'un seul cadran coupé en deux moitiés symétriques, avec des portions répétitives. Que chaque moitié possède son style particulier, sous la forme d'un miroir, ne la particularise pas, parce que les miroirs sont horizontaux, n'ont donc pas d'azimuts et, ainsi, tout se passe comme s'il n'y avait qu'un seul miroir.

La planche N° 3 montre le tracé de la moitié orientale du cadran, animé par les fenestrelles du Sud-Est et qui procure donc les heures du matin.

Il faut se garder de confondre ces cadrans, dont le style se définit comme un oculus sur la paroi, avec les cylindriques plus courants ( cadrans-tuyaux ), dont une bille axiale, installée au centre géométrique du cylindre et sur son horizon, projette son ombre sur la paroi.

4)   Les 2 cadrans cylindriques convexes

2 cadrans cylindriques convexes, sur le fût dont on peut dire la même chose qu'à propos de celui de la paroi. Ici le miroir fonctionne comme s'il était l'extrémité d'un style droit, distante du centre du cylindre de 1 m. 35 et de sa surface de 1 m. 15.

La planche N°5 montre comment ce pilier central est visité par le Soleil. On constate que les rayons solaires qui tangenteraient le fût, après réflexion sur les miroirs, seraient contenus entre les azimuts: 45° + - 8°4 au Sud-Ouest et -45° + - 8°4 au Sud-Est. Ils balayent donc, exactement, les trois quarts de la circonférence du fût, mais cela n'apporte guère d'informations gnomoniques supplémentaires.

En effet, la planche N°2 montre que, seules, les heures rondes 16 et 8 de temps vrai font impact sur le fût, presque exactement au Sud. Déjà les heures voisines, 15 et 9, ne font qu'effleurer, peut-être, le pilier. Mais, entre ces heures, peuvent se remarquer des segments d'italiques ou de babyloniques.

Ces remarques à propos du pilier suggèrent un calcul, forcément très approximatif, ici:

1°) la hauteur du Soleil qui fait glisser la tache de lumière, du fût au plafond, doit dépasser 57°. En effet, la mesure de cette hauteur correspond à la tangente de l'angle dont le côté horizontal vaut environ 1,15 mètres (du miroir au pilier), et le côté vertical, le long du pilier, environ: 2,50 m moins 0.7 m (horizon du miroir), soit 1,80 m.

Donc: tg (1.8 / 1.15) > 57°.

Cela concerne les lignes 8 et 16.

2°) la hauteur du Soleil qui provoque un semblable glissement , mais de la paroi cylindrique au plafond, pour les lignes horaires les plus longues, telles que 10 et 14, doit dépasser 35°:( tangente = 1.80 / 2.60 , car la hauteur de la paroi est, cette fois, rapportée à une longueur plus que double de celle du premier cas.

III La nature des heures manifestées par les cadrans

Trois systèmes horaires sont présents sur les pierres du clocher et leurs combinaisons permettent une excellente maîtrise du temps puisqu'ils sont fondés, chacun, sur l'un des évènements majeurs que comporte une journée:

1)   Le système des heures vraies locales.

L'évènement fondateur du système est le passage du Soleil au méridien local, ce qui définit l'instant de midi. Sous nos latitudes cela se produit lorsque le Soleil passe exactement au Sud et y culmine. Les heures vraies décomptent les angles horaires du Soleil, qui sont l'une de ses coordonnées, souvent associée, en astronomie, avec sa déclinaison, et avec son azimut et sa hauteur.

Lorsque, vu de la Terre, le Soleil a parcouru un tour complet, avec retour au méridien de départ, il a couvert 360° que l'on fait correspondre à 24 heures. Ainsi 1 heure vaut 15°, une demi-heure vaut 7, 5 degrés etc.

2)   Le système des heures babyloniques

dont l'évènement fondateur est le lever du Soleil ou heure babylonique 0. Après le lever, chaque heure de temps vrai qui s'écoule, fait s'accroître d'une unité le temps babylonique qui accumule, ainsi, 24 heures égales jusqu'au lever suivant.

Il est clair que, dans ce système, tous les jours de l'année ont même durée, soit 24 heures babyloniques, mais il n'existe pas deux jours consécutifs où une certaine heure babylonique corresponde à une même heure de temps vrai. Les babyloniques sont aussi appelées: horae ab ortu.

3)   Le système des heures italiques

Le système des heures italiques fonctionne comme le système babylonique, mais dont l'évènement fondateur est le coucher du Soleil. On peut dire des italiques les mêmes choses que l'on vient de dire à propos des babyloniques, par symétrie. Ainsi, pour ne donner qu'un seul exemple, les italiques sont appelées horae ab occasu.

La présence simultanée sur un cadran, de ces trois systèmes, en fait un instrument très performant qui indique, entre autres:

- le lever du Soleil

- le coucher du Soleil

- le temps écoulé depuis le lever du jour présent

- le temps écoulé depuis son coucher de la veille

- le temps qui sépare de son coucher du jour présent

- la durée du jour clair

- la durée de la nuit

- l'heure vraie qu'il est, aussi et d'abord !

La planches N° 6 montre, sur un canevas cartésien réglé par les hauteurs et les azimuts du Soleil, comment se présentent les heures solaires vraies, tous les quarts d'heure, aux douze dates remarquables de l'année qui donnent naissance aux 7 arcs de déclinaison usuels, dits "des 21 des mois".

La planche N° 7 complète la précédente par le tracé des italiques et des babyloniques.

Ces deux planches fonctionnent comme des abaques et fournissent leurs renseignements même pour les heures de nuit. La planche N° 6 peut se tracer pour toutes les latitudes; mais la planche N° 7 ne peut exister qu'aux latitudes où s'observe un lever/coucher de Soleil.

4)   Remarque complémentaire

Un pilier, des fenestrelles, en voilà assez pour ouvrir la voie à tous les ésotérismes, surtout à ceux " de quat'sous ". Nous avons voulu tenter une petite aventure en deux chapitres:

1°) si nous nous adossons contre le pilier, aux points où les lignes horaires 8 et 16 de la planche N° 2 l'atteignent, sur le papier ( ! ), donc sensiblement au Sud, nous visons par les fenestrelles les azimuts -51° vers le Sud-Est et 51° vers le Sud-Ouest. Quelles étoiles se levaient-elles et se couchaient-elles, dans ces azimuts, au XVI ème ou au XVII ème siècle ? La réponse est que ces étoiles devaient avoir une déclinaison Sud déjà importante, de l'ordre de -26°. Donc la constellation du Scorpion, avec sa bellissime Antarès, répondait à l'exigence. De là à prétendre qu'un Antonin s'y intéressait, il y a un pas. Si, de nos jours quelqu'un veut voir cela il lui faut choisir la période de meilleure observation, soit vers fin Mai et ensuite.

Rappel: la déclinaison d'une étoile qui la fait lever et coucher dans un azimut donné, pendant de très longues années est: - sin ( DEC ) = cos ( Az) * cos ( lat )

Mais, comme les étoiles tournent en, seulement, 23 h. 56 m. 04 s., elles se lèvent et se couchent à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, prenant, chaque jour, une avance de 3 m. 56 s., sur leur horaire de la veille.

2°) du même emplacement sommes-nous au point de départ de routes orthodromiques qui aboutiraient à des lieux sacrés, Jérusalem, par exemple ou Rome ? Sur ce point, nous n'avons rien trouvé, mais la piste reste ouverte.

IV Conclusion

Ce cadran solaire, merveilleux joyau d'un grand trésor, mérite d'être connu et sauvé, avant que son état, déjà bien délabré n'empire.

V Annexes

Planche 1: Le principe du cadran horizontal à réflexion.

Planche 2: Le cadran horizontal dans l'escalier du clocher.

Planche 3: Le cadran vertical cylindrique concave.

Planche 4: Cadran vertical et cadran vertical à réflexion.

Planche 5: Le pilier central (cylindre convexe) dans le Soleil.

Planche 6: Canevas: hauteurs, azimuts, déclinaisons, heures vraies

Planche 7: Même canevas complété par les italico-babyloniques.