UMR 5182

logo-ensl
Vous êtes ici : Accueil / Actualités / Brèves / Toxicité du mercure chez le thon rouge : un nouvel éclairage scientifique

Toxicité du mercure chez le thon rouge : un nouvel éclairage scientifique

Communiqué de presse

Une étude menée par l’ESRF – le Synchrotron européen de Grenoble –, le CNRS, l’ENS de Lyon et l’Institut de recherche marine de Norvège, révèle comment le thon rouge d’Atlantique transforme la forme toxique du mercure en formes moins nocives. Le muscle, la partie comestible du thon, contient ainsi non seulement du méthylmercure, mais aussi du mercure lié à des composés stables et non toxiques, selon l’étude publiée dans la revue Environmental Science & Technology.

 

La contamination au mercure est un problème de santé publique mondiale. Cet élément chimique provient à la fois de sources naturelles, comme les volcans et les feux de forêt, et de l’activité humaine, notamment la combustion du charbon, l’extraction de l’or et l’incinération de déchets industriels et ménagers. Les bactéries transforment le mercure en méthylmercure, une forme toxique qui s’accumule dans la chaîne alimentaire. Les thons, prédateurs de haut niveau trophique, accumulent ainsi le mercure en consommant de nombreux poissons contaminés.

 

Cependant, toutes les formes de mercure ne présentent pas la même toxicité, et la forme chimique est cruciale. Une étude dirigée par Alain Manceau, directeur de recherche émérite du CNRS/ENS de Lyon, chercheur à l’ESRF, qui étudie depuis des années les mécanismes de détoxification du mercure chez les animaux, recommande une plus grande précision dans la mesure de la toxicité du mercure. « Pour évaluer plus rigoureusement le niveau de toxicité, il faudrait mesurer la concentration en méthylmercurece qui peut aujourd’hui se faire de manière routinière, plutôt que la quantité totale de mercure », explique-t-il. « Sinon, on inclut des formes de mercure présentes chez certains poissons peu ou pas nocives pour l’organisme humain.»

 

Le thon rouge d’Atlantique détoxifie le méthylmercure

Grâce aux rayons X très intenses de l’ESRF, l’équipe scientifique a étudié comment le mercure était transformé dans le corps du thon rouge d’Atlantique. Ils ont découvert que, contrairement aux cétacés à dents (ondocètes) et aux grands oiseaux marins, qui détoxifient essentiellement dans le foie, le thon rouge utilise principalement la rate pour transformer le méthylmercure.

 

Comme le démontre l’étude, ce processus repose sur l’interaction entre le sélénium, un oligo-élément présent dans l’eau de mer, et le mercure. Cette interaction forme un complexe mercure-sélénium stable et nettement moins toxique. Les grands prédateurs marins détoxifient le méthylmercure via une série de réactions chimiques impliquant le sélénium réduit présent principalement dans la sélénoprotéine P.

 

Pour parvenir à ces résultats, Alain Manceau et Pieter Glatzel, chercheur à l’ESRF, ont utilisé une technique synchrotron spécifique – la spectroscopie d’absorption X à haute résolution spectrale. Ils ont montré qu’une partie du mercure dans le muscle comestible se présente sous forme de complexe tétrasélénié (Hg(Sec)₄), considéré comme non toxique, car il se transforme en séléniure de mercure inerte dans la rate. « Si le muscle ne contient pas de séléniure de mercure, c’est que la concentration en mercure y est moins abondante que dans la rate », explique Alain Manceau.

 

Différentes espèces de thon, différents niveaux de concentration de mercure

Les thons rouges de l'Atlantique étudiés ont été pêchés le long des côtes norvégiennes. « Les spécimens de cette taille, qui peuvent peser jusqu'à 300 kg, sont difficiles à obtenir, mais en tant que grands prédateurs, ils constituent des spécimens types essentiels pour ce type d’étude recherche », explique Martin Wiech, scientifique à l'Institut de recherche marine en Norvège.

 

 

Le thon rouge d’Atlantique est un prédateur de haut niveau trophique, tout comme le thon dit obèse, de sorte que les résultats de cette étude ne peuvent pas être extrapolés aux espèces de thon plus bas dans le réseau trophique, qui contiennent beaucoup moins de mercure. 

 

Les espèces de thon plus petites, comme le germon, ou thon blanc, et le thon listao, communément appelé bonite à ventre rayé, que l’on trouve généralement dans les conserves de thon, sont beaucoup moins contaminées.

 

Pour des tests plus précis et des recommandations adaptées

Afin de mieux informer les consommateurs, cette étude souligne la nécessité de distinguer le méthylmercure toxique des complexes mercure–sélénium moins réactifs lors des analyses sanitaires de contamination au mercure. « La plupart des recommandations sanitaires supposent que tout le mercure dans le poisson est sous forme de méthylmercure », précise Alain Manceau. « Or, si c’est le plus souvent le cas, nos résultats montrent que jusqu’à un quart du mercure présent dans le muscle comestible du thon rouge est sous forme nettement moins nocive. Cette proportion atteint même 90% chez le marlin, également dénommé makaire. Les risques pour la santé dépendent donc non seulement de la quantité totale de mercure, mais aussi de sa forme chimique. »

 

 

Référence scientifique :

Manceau, A., et al., Demethylation Pathway of Methylmercury in the Spleen and Peripheral Organs of Bluefin Tuna – Implications for Fish ConsumersEnvironmental Science & Technology, 18 septembre 2025. DOI : https://doi.org/10.1021/acs.est.5c08815

 

Contact scientifique :

Alain Manceau, directeur de recherche émérite du CNRS/ENS de Lyon, chercheur à l’ESRF - email : alain.manceau@esrf.fr

 

Contacts presse : 

ESRF - Delphine Chenevier, directrice de la communication, email delphine.chenevier@esrf.fr, +33 (0)6 07 16 18 79