Un nouveau mécanisme de détoxication du mercure découvert chez les manchots
Une étude scientifique menée à l’ESRF a révélé que les manchots empereurs détoxifient le mercure
grâce à deux mécanismes : en utilisant d’une part le soufre, comme le font les bactéries, et d’autre
part le sélénium, comme le font les prédateurs supérieurs. Ce nouveau mécanisme de détoxication
du mercure découvert chez les prédateurs marins est le résultat d’une étude publiée dans le Journal
of Hazardous Materials.
Le mercure est classé par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) parmi les dix substances chimiques
les plus préoccupantes pour la santé publique. Sous sa forme neurotoxique, le méthylmercure, cet
élément chimique s’accumule et se concentre dans les chaînes alimentaires aquatiques et terrestres.
Comprendre les processus internes de détoxication du méthylmercure chez les animaux est crucial
pour protéger la faune et développer des traitements contre l’empoisonnement au mercure.
Alain Manceau, scientifique à l’ESRF et chercheur émérite au CNRS, a étudié pendant plusieurs années
les mécanismes de détoxication du mercure chez les animaux, en collaboration avec des scientifiques
de l’Université de La Rochelle et du CNRS (LIENSs and CEBC), de l’US Geological Survey et de
l’Université de Californie Davis. En 2021, l’équipe avait montré que les prédateurs au sommet des
réseaux trophiques, tels que les pétrels géants - oiseaux marins- et les mammifères marins comme le
globicéphale, sont capables de détoxifier le méthylmercure, via des réactions impliquant le sélénium
sous forme d’une sélénoprotéine, pour former un composé minéral inerte non toxique, le séléniure de
mercure (tiemannite).
« Nous connaissions le mécanisme utilisé par les animaux très exposés au mercure ; notre objectif était
de comprendre ce qui se passe chez des animaux situés plus bas dans la chaîne alimentaire, comme les
manchots », explique Alain Manceau. Les manchots empereurs se nourrissent principalement de
calandres antarctiques, un poisson, et de calmars, qui contiennent du méthylmercure en quantités
modérées. Par conséquent, ils sont moins contaminés par le mercure que les dauphins, les pétrels
géants et autres prédateurs situés plus haut dans le réseau trophique.
Un mécanisme de détoxication encore inconnu chez les animaux
Grâce à une technique synchrotron, la spectroscopie d’absorption des rayons X, utilisée au Synchrotron
Européen de Grenoble, l’équipe scientifique a identifié, pour la première fois, une nouvelle voie de
détoxication du méthylmercure. Chez les manchots empereurs, une partie du mercure est détoxifiée
grâce au même système que celui utilisé par les pétrels géants. Cependant, les manchots possèdent un
second mécanisme de déméthylation, qui n’a été observé jusqu’à présent que chez des bactéries.
Comme celles-ci, l’organisme des manchots forme un complexe appelé Hg-dithiolate. Ce complexe se
lie aux groupes thiols des enzymes, altérant ainsi leur fonctionnement.
Pour parvenir à ces résultats, Alain Manceau et Pieter Glatzel, scientifiques ESRF, ont utilisé un
spectromètre à très haute résolution pour identifier les formes chimiques du mercure dans le foie des
manchots empereurs. Ils ont ensuite combiné ces données avec les isotopes stables de l’azote et du
mercure pour identifier la source alimentaire du méthylmercure et son métabolisme de dégradation.
La composition isotopique du complexe Hg-dithiolate a montré que la déméthylation se produit à
l’intérieur du corps, et non dans le microbiote intestinal.
« Nous pensons que ce mécanisme de déméthylation ‘moins sophistiqué’ est plus courant chez les
vertébrés de niveau trophique inférieur, comme les reptiles, qui sont moins contaminés par le
méthylmercure et n’ont pas besoin d’un mécanisme de décontamination aussi avancé que celui des
pétrels géants », expliquent les auteurs de l’étude, qui prévoient d’analyser le cas des crocodiles et du
thon rouge, un poisson super prédateur.
Ces recherches sont cruciales pour tracer le cycle biogéochimique du mercure dans les écosystèmes,
des bactéries aux prédateurs supérieurs.
Le transfert de mercure des mères aux poussins
Grâce à une expédition en Antarctique, l’équipe scientifique a aussi pu analyser des œufs de manchots
abandonnés par leurs parents pendant l’incubation. Jusqu’à présent, on savait que les femelles
transmettaient à leur petit le mercure toxique contenu dans le blanc d’œuf (albumen).
Dans la même étude, il a été découvert que, dans le jaune d’œuf, une partie du mercure est détoxifiée
grâce au mécanisme sophistiqué utilisé en partie par les manchots. Cependant, la plus grande quantité
de mercure dans l'œuf est sous forme toxique, en raison de la quantité disproportionnée d'albumine
par rapport au jaune. « Malgré tout, l’élimination du mercure toxique pendant la production des œufs
reste quantitativement mineure comparée à la dépuration dans les plumes lors de la mue », explique
Paco Bustamante, professeur à l’Université de la Rochelle.
C'est un peu comme chez les humains, où le méthylmercure est en partie éliminé par les cheveux, alors
que son transfert placentaire pendant la grossesse de la mère est connu pour avoir un impact sur le
développement neurologique du fœtus.
Référence : https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2024.136499
Contact – Scientifique : Alain Manceau, alain.manceau@ens-lyon.fr
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