Entretien avec François-Loïc Cosset, lauréat 2021 du prix Jaffé.
Vous venez de recevoir le prix Jaffé de l’Académie des sciences. Ce prix couronne des travaux destinés au progrès et au bien-être de l’humanité. Sont-ce là deux aspects qui motivent votre recherche ?
En recherche, je me pose souvent les deux questions suivantes : est-ce que c’est intéressant ? est-ce que c’est original ? Découverte et invention sont aussi deux choses qui motivent mon travail, c’est à dire permettre de nouvelles connaissances sur les pathogènes viraux, comprendre leur relation avec leurs hôtes, mais aussi construire des outils, de nouvelles machines thérapeutiques. Je suis ingénieur de formation, j’aime assembler, passer d’une recherche fondamentale à une recherche de transfert qui me semble d’autant plus essentielle si elle permet des progrès du point vue sociétal.
En comparant des espèces différentes de virus, vous cherchez avec votre équipe à comprendre comment certains pathogènes viraux "humains" peuvent établir des infections aiguës ou persistantes, et comment ces virus passent des animaux à l'homme. Vos travaux ont ainsi un grand écho en cette période de pandémie, mais pouvez-vous nous en dire plus ?
On estime actuellement que plus de 70 % des maladies infectieuses chez l’humain proviennent de l’animal. Toutefois, les mécanismes de transmission sont variables d’un pathogène à l’autre et dépendent de multiples facteurs liés à la nature des écosystèmes, à leur perturbation, aux échanges intercontinentaux mais aussi à divers facteurs sociologiques.
Pour comprendre le processus de transmission, il faut caractériser trois éléments :
- les réservoirs (singes pour le VIH, bovins/caprins pour la CCHFV, etc.)
- les vecteurs (viande de brousse, tiques, moustiques, air, etc.)
- les hôtes (l’humain, son éventuelle immunité pré-existante)
Concernant les vecteurs, ajoutons qu’ils sont de natures très diverses. Qu’il s’agisse d’arthropodes, de systèmes mécaniques d’aération ou de transmission directe, les virus finissent toujours par trouver un moyen de se déplacer ! Mais c’est la vectorisation respiratoire qui demeure la plus efficace. Si le nombre de reproduction de base (le fameux R0) est très variables selon les virus et la dynamique d’une épidémie, il est supérieur à 12 pour la rougeole ou entre 2 et 4 pour la grippe, deux virus qui se transmettent par l’air.
Pouvez-vous nous citer quelques exemples de maladies transmises de l’animal à l’homme ?
- Le VIH : ce rétrovirus a longtemps été présent chez certaines espèces animales comme le singe. Parfaitement adapté à ses hôtes, il ne s’est transmis à l’humain qu’au cours du siècle dernier, peut-être par ingestion de viande de brousse, trouvant chez l’humain un terrain vierge, sans pré-immunité.
- Le SARS-CoV : on peut imaginer qu’il en est de même pour ce virus dont la présence dans le monde animal est certainement sous-détectée pour le moment.
- L’hépatite B : il y a actuellement 200 millions de cas dans le monde. Jusqu’à il y a peu, les chercheurs pensaient que la transmission se faisait exclusivement d’humain à humain. Grâce aux nouvelles techniques de séquençage massif qui permettent de détecter des séquences apparentées au VHB dans différentes espèces animales, on peut désormais penser que le virus est arrivé via l’animal – chauves-souris ou micromammifères.
- La fièvre hémorragique Congo-Crimée (CCHFV) intéresse également beaucoup notre laboratoire. Elle est apparue au milieu du siècle dernier dans deux lieux fort éloignés et distincts. Les vecteurs de transmission sont certaines espèces de tiques.
Vous êtes co-directeur du LabEx ECOFECT – Dynamique éco-évolutive des maladies infectieuses – qui regroupe 34 équipes travaillant dans différents champs disciplinaires et méthodologiques. L’union fait-elle la force ?
Avec 16 équipes du CIRI, 11 du LBBE, 4 de l’IBCP-MMS, 1 de l’IGFL, 1 d’EM et 1 de l’INRA, nous avons mobilisé de nombreux chercheurs et chercheuses afin de favoriser les échanges entre la recherche fondamentale et la recherche médicale et industrielle dans une perspective de transfert de connaissances dans les domaines de la prévention et du traitement des maladies infectieuses.
ECOFECT promeut ainsi l’interdisciplinarité pour comprendre comment les changements globaux favorisent l’émergence des maladies infectieuses et pour définir des stratégies de gestion innovantes intégrant les connaissances en écologie et évolution des populations et des communautés.
Vos travaux de recherche ont également permis de mettre au point des biothérapies innovantes contre des maladies chroniques qui sont évaluées en thérapie génique et immunothérapie. Là aussi, pouvez-vous nous en dire plus ?
Par exemple, la thérapie génique permet de traiter des maladies génétiques ou acquises en introduisant, dans les cellules ou dans les organes, de quoi les soigner. Si l’on prend l’exemple des myopathies, les personnes atteintes présentent un déficit génétique très invalidant au niveau musculaire ; il y a alors deux solutions : compenser ce déficit par des soins palliatifs ou en traiter les causes, rajouter le gène manquant. Afin d’y parvenir, on peut utiliser certains virus qui ont la capacité de transporter des génomes. L’innovation consiste à désarmer ces virus afin de les transformer en transporteurs de gènes.
S’il est vrai que le CIRI est un laboratoire académique, nous sommes cependant capables de développer des preuves de concept pré-cliniques. Afin d’aller plus loin dans le transfert clinique ou industriel, nous collaborons régulièrement avec des entreprises de biotechnologie, des laboratoires pharmaceutiques ou des start-up. Nos équipes travaillent ainsi avec des équipes cliniques rencontrées grâce à nos publications scientifiques, à nos brevets déposés ou via les contacts informels de nos chercheurs.
Vous êtes directeur du Centre International de Recherche en Infectiologie, un laboratoire qui compte 420 personnes. Comment arrivez-vous à concilier vos responsabilités en tant que directeur et votre activité de recherche ?
Ma recette est la suivante :
- tenir un double agenda – vert pour le directeur, bleu pour le chercheur – et un maintien de l’équilibre entre ces deux couleurs… quand c’est possible !
- disposer d’une équipe administrative de choc et d’une équipe de direction très efficace !
- et surtout garder la santé (sport, repos et du temps pour les loisirs personnels)
François-Loïc Cosset est actuellement directeur du Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI | Inserm/CNRS/Lyon 1/ENS de Lyon).
Il est un expert des voies moléculaires et cellulaires qui dictent l'assemblage des glycoprotéines de surface virales sur les nucléocapsides rétrovirales, un processus connu sous le nom de "pseudotypage".
Ses études pionnières ont conduit à la conception de nouveaux vecteurs de thérapie génique efficaces et inoffensifs mais aussi à la mise au point de nouveaux outils permettant d'étudier l'entrée dans les cellules de base de virus enveloppés pathogènes, tels que le VHC, qui ne pouvait être cultivé en culture tissulaire jusqu’en 2005. Il a donc rapporté le premier test d'entrée « fonctionnel » du VHC, appelé HCVpp.
Cette découverte pionnière a stimulé de nombreuses études de sa propre équipe et de nombreuses autres équipes en vue d'une analyse approfondie des voies d'entrée cellulaires, de l'identification des récepteurs du VHC, des mécanismes de neutralisation et/ou d'inhibition de l'entrée cellulaire et des réponses humorales dans des cohortes de patients.
Son équipe est composée de scientifiques de premier plan dans les domaines de la virologie, de l'ingénierie virale, de la vectorologie, de l'immunologie, de l'hématologie et de l'ingénierie des cellules souches, ce qui lui confère une expertise considérable pour les applications biomédicales. Son travail a été soutenu par l'Union européenne (ERC AdG HEPCENT).
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