Mickaël NORMAND soutiendra sa thèse de doctorat en philosophie réalisée sous la direction d'Eric GUICHARD le 17 juin 2025 à 14h.
Résumé de la thèse
La prolifération des technologies numériques s’accompagne d’une diversification des logiciels, qui ne sont plus considérés comme de simples objets techniques (au sens de Simondon) mais comme de véritables dispositifs numériques structurant les interactions entre humains et non-humains. Dans ce cadre, le concept de délégation – l’acte de « faire faire » – devient central pour comprendre ces dispositifs.
La délégation par les technologies numériques transforme la relation entre producteurs (développeurs d’algorithmes) et utilisateurs, en conférant aux premiers un rôle de scribes qui redéfinissent les cadres d’interaction. Cette délégation ne se réduit pas à une simple substitution imaginaire (Latour) ou physique de l’humain par la machine, mais doit être analysée comme une situation indéterminée (Dewey), mettant en lumière l’originalité technique de ces nouvelles formes opératoires.
Traditionnellement pensée dans un cadre politique ou administratif, la délégation repose sur une distinction nette entre le déléguant et le délégué, ce dernier disposant d’une autonomie d’action (Bourdieu). Or, dans le cas des dispositifs numériques, la délégation mobilise également des fictions épistémologiques qui influencent notre expérience et nos modes de connaissance (Vaihinger). Cela génère de nouvelles formes d’organisation et de gouvernementalité algorithmique (Rouvroy & Berns) qui réinterrogent le concept de système technicien (Ellul).
L’étude identifie quatre formes traditionnelles de délégation : politique, administrative, managériale et industrielle. Ces formes permettent d’évaluer l’autonomie du délégué selon les ressources mises à sa disposition, les objectifs qui lui sont assignés et les marges de liberté qui lui sont accordées. Cette approche met ainsi en lumière les limites et les spécificités de chaque type de délégation en fonction du contexte dans lequel elle s’exerce.
La seconde partie enquête sur les différentes étapes de la mise en place des délégations aux dispositifs numériques.
Cette partie explore le rôle de l’industrie des composants dans l’émergence de la délégation numérique et l’influence de l’écriture algorithmique sur les dispositifs techniques. Les technologies numériques introduisent un jeu de rétroactions et de mesures comportementales modifiant l’expérience des utilisateurs. Nous rappelons le rôle central de l’industrie des composants, qui profile les conditions de possibilité techniques et matérielles de la délégation. Nous analysons ensuite la façon dont l’écriture algorithmique façonne l’individuation des dispositifs et les schèmes d’intelligibilité à travers ces nouvelles technologies de l’intellect (Goody). À travers l’analyse de quatre exemples emblématiques – Uber, Parcoursup, les logiciels d’aide à la décision juridique et LATEX – l'examen des multiples transferts délégatifs aux dispositifs cartographient des rapports aux mondes et des valeurs qui sont intégrées par les dispositifs à travers ses relations avec les scribes et les utilisateurs.
La dernière partie revisite les concepts de délégation technique en prenant en compte la matérialité des dispositifs. En reformulant la délégation sous l’angle des structures matérielles, scribales et relationnelles, cette analyse ouvre des pistes pour repenser la critique des techniques (Feenberg) et explorer comment les utilisateurs peuvent réinterpréter et s’approprier ces technologies pour influencer leur trajectoire et les valeurs qui les structurent.
En définitive, cette réflexion met en lumière le pouvoir transformateur de la délégation numérique, soulignant l’importance de dépasser une vision strictement centrée sur le contrôle, pour envisager une appropriation plus démocratique des technologies.
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