Le point de vue de Stéphane Gioanni, directeur d’HiSoMA (Histoire et sources des mondes antiques).
Le laboratoire HiSoMA : quelques chiffres
Le laboratoire HiSoMA est présent sur 5 sites : Lyon 2 (Maison de l’Orient et de la Méditerranée), Lyon 3 (rue Chevreul), l’ENS de Lyon (site Descartes), Saint-Étienne (site Michelet) et les Sources Chrétiennes (rue Sala, sur la Presqu’île)
• 64 chercheurs ou enseignants-chercheurs
• 14 personnels techniques et administratifs
• 85 doctorants et post-doctorants et ingénieurs sur contrats
• 90 chercheurs associés
L'impact du confinement sur la recherche ou sur l’organisation de la recherche ?
La crise sanitaire est survenue dans une période très intense. Aux activités programmées s’ajoutaient, début 2020, la préparation de la visite du comité HCÉRES et l’organisation du déménagement d’une grande partie du laboratoire avant les travaux du Plan Campus. De nombreux membres d’HiSoMA étaient aussi de plus en plus impliqués dans les débats relatifs à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche et à la construction de la future université de Lyon. Ils avaient le sentiment que ces deux orientations sans liens apparents auraient des conséquences sur nos missions de recherche et de formation. C’est dans contexte agité mais passionnant que tomba l’annonce du confinement, à trois jours de la visite du comité HCÉRES qui devait clore le long processus d’évaluation quinquennale du laboratoire.
La première urgence fut de rapatrier au plus vite les équipes en mission sur des terrains archéologiques en Méditerranée orientale, notamment en Égypte. Tout s’est finalement bien passé, malgré quelques frayeurs nocturnes pour une équipe en transit à Istanbul où tous les vols pour la France venaient d’être suspendus… Pour les autres opérations, tout ce qui était prévu avant l’été (missions, colloques, séminaires, réunions, etc.) fut déprogrammé mais Sabine Fourrier, la directrice adjointe, et moi avons tenu à maintenir la périodicité des réunions de direction et des conseils de laboratoire. L’objectif était d’entretenir une forme de continuité qui nous permettrait de reprendre nos activités le moment venu, de garder le contact et de relayer à l’ensemble de l’équipe les informations sur les outils de recherche et de formation à distance, notamment les ressources numériques. Les correspondants d’HiSoMA ont aussi réalisé une newsletter exceptionnelle présentant les dispositifs d’alerte et de soutien mis en place dans les tutelles du laboratoire.
En ce qui concerne l’organisation du télétravail, la plupart des personnels de l'UMR ont pu poursuivre leurs activités pendant la période de confinement dans des conditions de travail naturellement dégradées. Comme tout le monde, nous avons constaté les dangers de la fracture numérique qui isolait les étudiants et certains agents confinés. De ce point de vue, le confinement a permis de prendre conscience des différents problèmes et d’essayer d’y répondre par des achats d’équipements ciblés.
L’histoire de la médecine et des épidémies
L’histoire de la médecine occupe une place importante à HiSoMA, notamment à travers le programme Textes et savoirs médicaux et scientifiques. Isabelle Boehm (Lyon 2, HiSoMA) dirige plusieurs doctorants sur des sujets qui concernent plus ou moins directement les épidémies.
Par exemple, Diane Ruiz-Moiret travaille, sous la co-direction d’Alexandre Grandazzi (Paris-Sorbonne), sur les épidémies qui ont frappé Syracuse (432, 396, 212 av. J.-C.), Rome à l’époque archaïque, l’Italie tout entière et celles qui se sont développées dans l’armée romaine en campagne en Espagne. Diane Ruiz-Moiret met en évidence les stratégies de lutte contre les maladies pestilentielles développées dans le monde romain, qui sont médicales et religieuses. Dans la communication qu’elle présentera au colloque international "Loimos, pestis, pestes. Regards croisés sur les grands fléaux épidémiques" prévu à Marseille à la fin de l’année 2020, elle proposera un examen des comportements humains dans le monde romain face aux maladies pestilentielles et les mettra en perspective avec le Covid-19 en Italie cette année. Elle montrera que les variations d’interprétations proposées par les Anciens ne sont pas sans rapport avec les réactions variées causées par le Covid-19 aujourd’hui. Enfin, elle organisera en mai 2021, avec Jeanne Mathieu, une autre doctorante d’Isabelle Boehm un colloque sur "L’erreur médicale dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Grèce, Rome, Égypte, Proche-Orient".
Comment s’organise la reprise sur site ? Comment s’organisent les événements à venir ?
Depuis le 11 mai, la situation est différente sur les cinq sites du laboratoire à Lyon et à Saint-Étienne. Dès l’annonce de la fin du confinement, nous avons réfléchi collectivement à une reprogrammation des activités essentielles à partir de l’été. Les autres opérations moins urgentes ou trop lourdes seront organisées en 2021. La principale incertitude porte désormais sur le report des missions archéologiques dont la réalisation dépendra aussi des mobilités internationales et de la situation dans les pays concernés, notamment en Égypte où la crise sanitaire est loin de s’améliorer. Plusieurs équipes envisagent de remplacer, cette année, les fouilles archéologiques par des missions d’étude dans des fonds d’archives européens pour approfondir leurs recherches. Cela est d’autant plus important que la commission des fouilles du ministère des Affaires étrangères, qui finance en partie les missions, ne considère pas cette année comme une année blanche et attendra les rapports d’activités à l’automne… Le prochain conseil d’HiSoMA, fin juin, validera donc le nouveau calendrier des activités d’HiSoMA et votera un budget rectificatif qui permettra de financer de nouveaux besoins apparus pendant la "crise".
Qu’est-ce qu’une "crise" dans une société en mutation ?
Les crises, et les transformations qu’elles entraînent, sont au cœur de l’un des axes de recherche d’HiSoMA, qui porte sur les sociétés méditerranéennes anciennes en mutation. De l’Égypte pharaonique à l’Antiquité tardive, les sociétés étudiées ont dû sans cesse s’adapter à des changements environnementaux, économiques, politiques, sociaux. Quels marqueurs, en particulier archéologiques, permettent d’appréhender les facteurs de la crise, les champs de ses manifestations et les modes de résilience ? Une réflexion qui, bénéficiant du recul du temps long historique, permet aussi d’affronter les défis du contemporain.
Quelles leçons ?
Il est trop tôt pour tirer des enseignements de la crise sanitaire. Ce qui domine, c’est d’abord le soulagement de voir que les membres du laboratoire vont bien, même si personne n’est sorti indemne du drame humain que nous avons vécu et qui pourrait revenir à tout moment. C’est aussi un sentiment de gratitude : si l’UMR reprend progressivement son rythme habituel, elle le doit à la vigilance et à la solidarité de ses membres mais aussi au soutien constant de nos cinq tutelles, à commencer par l’ENS de Lyon, que je voudrais remercier très sincèrement pour la disponibilité de ses services, malgré les incertitudes et des conditions de travail difficiles. Cet engagement individuel et collectif au service des personnes et de nos missions de service public suffit à me rendre confiant et optimiste pour l’avenir de nos activités de recherche et de formation.
Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour reconnaître le rôle essentiel de la recherche dans nos sociétés fragilisées. Mais l’épreuve du confinement a aussi posé la question des limites du travail à distance de longue durée dans la sphère privée. L’activité professionnelle a besoin d’espaces et de temps qui lui soient propres, à moins de prendre le risque de la confusion, de l’épuisement généralisé et d’une inégalité flagrante.
- Sur le plan de la recherche et de la formation, le travail à distance (qui a pourtant été et sera peut-être encore nécessaire) doit rester une exception. Car il apparaît de plus en plus comme une forme de solitude, de repli sur soi, avec un risque croissant de décrochage et de démobilisation, notamment pour les étudiants de master et de doctorat en début de thèse, privés de leur encadrement, de leurs terrains et de leurs sources qui ne sont que rarement numérisées.
- Sur le plan de la communication au sein de l’UMR, les visioconférences sans fin et sans filtres, dans des espaces confinés, avec leurs aléas techniques et leurs connexions capricieuses, ont fini par épuiser les personnes et biaiser les échanges. Si l’on veut éviter de voir se multiplier les démissions et les conflits en tout genre (qui seraient une véritable catastrophe pour nos unités), il faut à la fois maintenir la vigilance devant le risque épidémique et veiller à ce que les laboratoires redeviennent des lieux d’échanges, de rencontres (parfois fortuites) et de missions (pour HiSoMA : en Méditerranée centrale et orientale, au Proche-Orient mais aussi dans les bibliothèques et les fonds d’archives qui permettent le renouvellement des méthodes et des sources). Après trois mois de discussion par écrans interposés, il est indispensable de rétablir la profondeur du dialogue réel et les conditions de la sociabilité scientifique (avec ses médiations, ses productions, ses projets, ses moments de pause, ses apartés dans les couloirs…) pour retrouver le plaisir de se dépasser ensemble. Sans oublier les gestes barrières...
Stéphane Gioanni, directeur d’HiSoMA
Ancien élève de l’ENS Fontenay-Saint-Cloud, agrégé de lettres classiques, ancien membre et directeur des études de l’École française de Rome, Stéphane Gioanni est professeur de latin tardif et médiéval à l’université Lyon 2.
Spécialiste de littérature patristique et des pratiques de l’écrit en Provence, en Italie et en Dalmatie-Croatie, il a édité la correspondance d’Ennode de Pavie dans la collection Budé (2006 et 2010) et dirigé plusieurs volumes collectifs, notamment La mémoire d’Ambroise de Milan, avec Patrick Boucheron, en 2015. Sa dernière publication s'intitule Gouverner le monde par l’écrit. L’autorité pontificale en Dalmatie de l’Antiquité tardive à la réforme « grégorienne », Rome, École française de Rome, 2020.
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