Discipline et mode de pensée normatifs par excellence, le droit définit, établit, distingue, classe parfois, pour punir ou pour réparer, ce qui dans les comportements humains individuels relève de l’écart, de l’exception à la moyenne collective observée ou acceptable.
En ce sens, depuis son origine antique, le droit, civil ou pénal, propose un discours sur l’écart à la norme comportementale, physiologique et psychologique, que représente la folie. Qu’elle soit abordée, en particulier par le droit romain, à travers la notion d’incapacité permanente – incapacité à agir juridiquement et notamment à contracter et par conséquent, incapacité à être tenu responsable pénalement ou civilement de ses agissements - , ou, plus rarement, à travers celle d’aliénation temporaire des facultés – frénésie, fureur, prodigalité ou tout dérèglement dont l’intensité exceptionnelle va de pair avec la brièveté -, la folie est un objet du savoir, de l’herméneutique et de la pratique juridiques.
Or, avant d’être saisie par la médecine à partir du XIXème siècle puis par la psychanalyse, et avant que cet accaparement fasse l’objet à son tour d’une appropriation par le droit, à travers la création et la codification du statut de l’expertise psychiatrique puis psychologique, la folie a connu ce moment où les deux discours produisant de la norme sociale, le droit et la médecine, ont cohabité – souvent sous l’égide de la théologie.Au cours de cette période, avec, d’une part, l’apparition du droit moderne, coexistence complexe et efficace des anciens droits féodaux, nationaux ou canonique, de droit romain et d’un droit royal naissant puis affirmé, mais aussi avec, d’autre part, l’essor d’un souci nouveau pour l’individu, la définition juridique de la folie a évolué. Parallèlement, sa prise en charge médicale est apparue et sa conception s’est progressivement laïcisée.
C’est cette cohabitation des normes et des discours, juridiques et médicaux, et l’évolution de leur poids respectif, entre le début du 16ème siècle et celui du 19ème siècle, que ce séminaire de recherche tentera d’explorer.
Cette époque reste souvent étudiée à travers le prisme de l’essor institutionnel (hôpitaux ou prisons) et d’une logique de déplacement des gestes du pouvoir social à laquelle cette évolution a donné lieu dans le sens d’un éloignement progressif des fous, dans une perspective dont l’effort foucaldien reste la plus illustrative et la plus répandue.
Centrées, quand elles se donnent la peine de prendre en compte la dimension juridique, sur l’évolution du droit public, les études et recherches sur ce point négligent parfois l’apport pourtant central de la réflexion que le corpus du droit privé, issu de sa pratique (décisions de justice, plaidoiries) ou de sa théorie (recueils de coutumes ou commentaires et manuels) offre sur la folie.
Dans le cadre du présent séminaire, il s’agira, à travers l’étude de ces textes, d’établir un état des lieux du discours juridique sur la folie à l’âge moderne et d’interroger le déplacement progressif des relations que les deux savoirs dominants entretiennent quant à leur objet, sans qu’il soit d’ailleurs possible d’éviter l’interrogation des liens que ces deux champs entretiennent avec l’autre discours producteur de norme et de savoir que constitue la théologie.