La kabbale (קבלה) désigne une tradition orale, transmise à Adam et aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob et que Dieu aurait, en dernier lieu, révélée oralement à Moïse sur le mont Sinaï. Son contenu aurait été ensuite retranscrit de manière cachée et dissimulée dans les textes sacrés, et en particulier dans la Torah. Si la kabbale est d’abord une doctrine secrète et ésotérique du judaïsme, elle sera réinterprétée, à partir du XVème siècle chez Pic de la Mirandole, dans une perspective chrétienne et considérée comme la clé d’interprétation et de compréhension du Nouveau Testament. À l’époque de Spinoza et Leibniz, une kabbale chrétienne se diffuse et constitue un système de pensée face auquel les philosophes semblent nécessairement devoir se positionner. À première vue, les relations que les deux philosophes entretiennent avec la kabbale sont ambigües. Spinoza ne mentionne explicitement la kabbale qu’à une seule reprise dans le TTP et ce, pour émettre une critique sévère, parlant même des « radoteurs kabbalistes. » De même si Leibniz est plus mesuré en reconnaissant que la kabbale contient une part de vérité, il n’hésite pas à railler et à rejeter avec véhémence certaines doctrines kabbalistiques. Pourtant sur bien d’autres points, leur philosophie semble imprégnée voir inspirée par la kabbale. Lorsque dans l’Éthique, Spinoza rapproche son « Deus sive natura » de la doctrine des Hébreux, ne fait-il pas référence au « tsimtsoum » et à la création du monde par la rétractation de l’Ein-Sof ? Sa conception de l’amour n’entre-t-elle pas en résonance avec celle de Léon l’Hébreu ? De même, la numérologie kabbalistique – au dire de Leibniz lui-même – entre en écho avec sa caractéristique universelle. Certains de ses contemporains, comme Toland, considérant même la philosophie de Leibniz comme un simple « plagiat » de la doctrine kabbalistique.
Ce cours aura pour objectif d’analyser la réception que font Spinoza et Leibniz de la kabbale en essayant de comprendre comment les deux philosophes se positionnent face aux problèmes clés qu’elle pose :
- Problèmes épistémologiques : quel rapport entretiennent la foi et la raison, la Bible et la philosophie ? Le langage biblique, qui use de symboles et d’images, peut-il être considéré comme un langage de vérité ? La kabbale est-elle une imagination, une pure rêverie ou contient-elle des vérités ?
- Problèmes théologiques : quel rapport Dieu entretient-il avec le monde et les hommes ? Dieu se soucie-t-il de nous ?
- Problèmes de théodicée : qu’est-ce que le mal ? L’existence du mal est-elle une objection à l’existence de Dieu ?
- Problèmes linguistiques : peut-on connaître Dieu à travers des mots ? La langue hébraïque est-elle une langue adéquate pour atteindre l’essence de Dieu ?
Nous partirons également d’exemples concrets propres à la doctrine kabbalistique pour illustrer et mieux comprendre les grandes critiques que formulent Spinoza et Leibniz dans leurs écrits métaphysiques, en particulier sur la question de la numérologie, des prophètes ou encore des mystères.