
Sonia Goldblum a rejoint l’ENS de Lyon il y a deux ans en tant que professeure des Universités, rattachée à l’IHRIM. Elle est spécialiste d’histoire des idées allemandes du 18e au 20e siècle et plus particulièrement de l’histoire intellectuelle des juifs d’Allemagne. Ancienne élève de l’École, elle a été titulaire d’un junior fellowship du Freiburg Institute for advanced studies et s’investit fortement dans les collaborations entre l’enseignement supérieur français et allemand. Elle sera membre du comité de direction.
Dans sa mission de vice-présidente aux études, Sonia Goldblum sera accompagnée par une responsable du concours Lettres et sciences humaines, Sarah Mombert, en complément du responsable du concours Sciences déjà en fonction.
Deux ans après votre nomination à l’ENS de Lyon, qu’est-ce qui vous a motivé à prendre cette fonction ?
D’abord mon attachement à l’école, dont je suis une ancienne élève et que j’ai retrouvée en tant qu’enseignante-chercheuse. Pour moi, c’était l’occasion de témoigner ma gratitude envers cette école, qui m’a ouvert tant de portes. J’ai pris le temps de réfléchir et de peser ma décision, parce qu’il s’agit d’une fonction prenante. Mais je me suis aussi dit qu’il n’était pas nécessaire d’attendre la fin de carrière pour assumer des fonctions de gouvernance et que cela pouvait être une étape stimulante dans mon parcours. Enfin, et ce n’est pas la moindre des motivations, j’ai eu envie de rejoindre une équipe motivante et rassurante. Je suis arrivée en même temps qu’Emmanuel Trizac et j’ai envie de contribuer au projet d’établissement qu’il porte.
Côté VPE, que veut dire continuer de faire de l’ENS de Lyon « une grande école de recherche d’utilité publique » ?
L’Ecole est une « vieille maison » qui est dotée d’un haut niveau de reconnaissance académique. Mais pour qu’elle conserve son attractivité, notamment auprès des étudiants, nous devons faire en sorte qu’elle soit perçue comme un acteur en prise sur les grands sujets de société, qui sont ceux qui se posent à nos étudiants : les transitions et notamment le changement climatique ou l’intelligence artificielle… Le lancement du diplôme inter-établissements du CHELS ou l’ajout d’une UE de tronc commun consacrée aux transitions sociale et écologique illustrent cette volonté. Nous devons aussi nous adapter à l’évolution des profils des candidats et développer une conception large de ce qu’un normalien ou une normalienne peut apporter à la société. Je pense ici avant tout à la formation de normalien, celle qu’on reconnaît à travers le diplôme, et pas uniquement au statut de fonctionnaire stagiaire.
Qu’entendez-vous par « évolution des profils » ?
L’école mène depuis plusieurs années une réflexion sur l’ouverture sociale de l’école, à des profils plus diversifiés et plus représentatifs de la société. Cela implique la diversité de genres – voir ce qui est entrepris par exemple dans les filières mathématiques et informatiques ou avec le CPES Sciences et société – mais aussi la diversité des origines géographiques, sociales et des parcours antérieurs à l’entrée à l’école. Nous avons pour objectif d’élargir le profil des candidats et candidates admis sur dossier pour accueillir plus d’étudiants et étudiantes issus de filières universitaires. Les bourses Cécile DeWitt-Morette, qui permettront dès la rentrée d’accueillir et de financer les 4 ans de scolarité de 6 étudiantes en mathématiques et en informatique, sont emblématiques de cette volonté.
Mais au-delà de la diversité des profils entrants, nous devons aussi travailler sur la diversité des débouchés et des trajectoires après la formation normalienne. Mettons l’accent sur ce qu’apporte la formation par la recherche à quelqu’un qui ne se destine pas à une carrière d’enseignant-chercheur ou enseignante-chercheuse. En témoignent les bons résultats que nos étudiants obtiennent chaque année aux concours des grands corps. Cette année, 6 admis parmi nos étudiantes et étudiants, pour 9 postes ouverts.
Que peut apporter, précisément, la formation par la recherche à des voies autres que celle de l’enseignement et la recherche ?
En formant par la recherche, nous invitons les étudiant.es à saisir l’importance de la preuve dans la démarche scientifique et la manière dont elle se construit. On formule des hypothèses, on cherche la meilleure méthode pour les vérifier et on présente des résultats fondés. Aujourd’hui où le rapport à la réalité, aux faits est plus que fluctuant, cette démarche rigoureuse est une plus-value partout, et nous en avons besoin dans tous les domaines : la haute fonction publique, la politique, l’industrie, les entreprises. Je suis convaincue que nos étudiants et étudiantes demain auront des choses à apporter, à démontrer, dans des voies très diversifiées.
Quel message ou conseil auriez-vous envie de faire passer aux étudiants ?
Très récemment, j’ai dit à l’une de mes doctorantes : « Ne restez pas seule ! ». Je crois profondément au travail en équipe et à l’ouverture, qu’elle soit disciplinaire ou internationale. En un mot, aux échanges.
Le monde de Monod et des sciences exactes et expérimentales reste à découvrir pour moi. Je m’en réjouis ! Car, quelles que soient nos pratiques disciplinaires, nous avons beaucoup à nous apporter mutuellement en termes de pratiques pédagogiques ou de recherche. Bien sûr, il existe des différences profondes entre SHS et SEE mais ici, à l’échelle de l’école, nous avons la chance de pouvoir travailler en croisant les disciplines, en les faisant dialoguer entre elles et en dialoguant entre nous. Une sorte de « transdisciplinarité en actes » ! Le collectif doit aussi se construire à cette échelle.
L’ouverture à l’international est également un point majeur. C’est aujourd’hui évident pour la recherche, en SEE comme en SHS. En matière de formation, il est important pour nous d’intégrer des réseaux européens et internationaux qui vont fluidifier les échanges pour nos étudiants. J’attire leur attention sur le fait que c’est à travers leurs mobilités sortantes qu’ils construisent leurs réseaux de recherche qui prennent corps dans les relations sociales qu’ils ont créées pendant leurs séjours. Ce sont les réseaux que nous, enseignants chercheurs, avons construit, qui créent les opportunités dont ils vont pouvoir bénéficier durant leurs études. D’ailleurs, en raison de la dimension interpersonnelle du réseau que j’ai pu bâtir avec l’Allemagne au cours de mon parcours académique, je vais continuer à m’occuper des échanges avec l’Allemagne dans le domaine des SHS.
Pour conclure, qu’auriez-vous envie de créer, d’inventer pour les normaliennes et normaliens demain ?
À l’école, nous avons un atout considérable, la présence simultanée du Département Education et humanités numériques, du LLE (laboratoire de l’éducation) et de l’IFE (institut français de l’éducation). Ces compétences et ressources nous mettent au cœur de l’innovation pédagogique, et nous allons avoir besoin de repenser un certain nombre de pratiques à l’aune de l’intelligence artificielle ou des transitions. Prenez la question des évaluations : comment faire en sorte qu’on ne voit pas que l’IA uniquement comme un risque de fraude – réel par ailleurs – mais aussi comme une opportunité nouvelle d’apprentissage ? Et à quelles conditions ? Dans l’apprentissage des langues par exemple, plus les étudiant.es ont acquis des compétences linguistiques, mieux ils peuvent intégrer l’IA dans leurs processus d’apprentissage et en faire un outil d’autonomie. Quelle place souhaite-t-on donner à l’IA dans les enseignements en Lettres et sciences humaines et sociales ? C’est un vrai et un passionnant défi alors que nous-mêmes, enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses, découvrons les usages de l’IA en même temps que nos étudiants et étudiantes…
Voici ce que je souhaite en tout cas pour les normaliens demain ou dans 20 ans, qu’ils soient en mesure de formuler des interrogations à la hauteur des défis de leur époque, et qu’ils puissent le faire librement !
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