Le lien entre l’organisation des chromosomes dans le noyau et la régulation de l’expression des gènes est encore mal connu. Dans une étude publiée dans Nature Genetics, les chercheurs ont utilisé une lignée de Drosophile dont les chromosomes sont largement remaniés, afin d’étudier l’impact fonctionnel de modifications de l’organisation du génome. Leurs résultats révèlent que dans un grand nombre de cas, il est possible de changer l’environnement chromosomique d’un gène sans pour autant affecter significativement son expression. Cela suggère un découplage entre l’organisation de la chromatine et la régulation de l’expression des gènes.
Chez les eucaryotes, l’expression des gènes est contrôlée par l’action de séquences régulatrices dites enhancer qui peuvent être parfois situées à grande distance de leur gène(s) cible sur le génome. Dans ces conditions, l’activation de l’expression d’un gène requiert la formation d’une boucle chromatinienne entre un enhancer et le promoteur de son gène cible, permettant leur juxtaposition dans le noyau des cellules. L’organisation tridimensionnelle de la chromatine dans le noyau joue donc un rôle important dans la régulation de l’expression des gènes.
Par ailleurs, il a été établi il y a quelques années que les chromosomes sont organisés en domaines topologiquement associés, ou TADs (pour topologically associating domains), qui représentent des régions enrichies en interactions locales mais dont le rôle est encore mal compris. De nombreuses données suggèrent que les interactions entre enhancers et promoteurs sont restreintes à l’intérieur des TADs par l’action de protéines "insulatrices" localisées dans des régions dites barrières à la jonction entre deux TADs consécutifs. Les TADs constitueraient donc une unité fonctionnelle de régulation du génome. Ainsi, chez les mammifères, des inversions chromosomiques affectant ces barrières peuvent causer une large variété de malformations développementales et de cancers du à la modification de la position d’un enhancer, qui étant mis au contact des gènes situés dans un autre TAD pourra déréguler leur expression. Cependant, d’autres résultats apparemment contradictoires indiquent que la délétion des barrières entre les TADs n’affecterait pas nécessairement l’expression des gènes situés à proximité.
Afin d’étudier comment l’organisation de la chromatine affecte l’expression des gènes, les chercheurs ont utilisé une lignée de Drosophile dont les chromosomes sont largement remaniés ("balanceurs"). Ils ont comparé la version "sauvage" et la version "balanceur" des deux principaux chromosomes du génome de la Drosophile, les chromosomes 2 et 3. Après avoir, dans un premier temps, séquencé ces chromosomes afin d’identifier tous les réarrangements différenciant les chromosomes sauvage et balanceur, tels que des délétions, des duplications ou des inversions, ils ont étudié l’effet de ces réarrangements sur le transcriptome (par la méthode RNA-seq) et sur l’organisation de la chromatine (par la méthode Hi-C). Les résultats révèlent que de façon surprenante, seule l’expression d’un petit nombre de gènes est affectée malgré des réarrangements important dans la structure du génome. Certains réarrangements tels que les inversions chromosomiques peuvent modifier la taille des TADs ou augmenter de façon drastique la distance linéaire entre deux régions physiquement proches dans le noyau et pourtant ces changements n’affectent pas l’expression des gènes de façon systématique.
Dans un grand nombre de cas, il est donc possible, chez la Drosophile, de changer l’environnement régulatoire d’un gène, sans pour autant affecter significativement son expression. Cela suggère un découplage entre l’organisation de la chromatine et la régulation de l’expression des gènes.
Source : Highly rearranged chromosomes reveal uncoupling between genome topology and gene expression. Yad Ghavi-Helm, Aleksander Jankowski, Sascha Meiers, Rebecca R. Viales, Jan O. Korbel and Eileen E.M. Furlong. Nature Genetics, 15 juillet 2019.
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