Le point de vue de Claude Gautier, directeur du laboratoire Triangle.
Le laboratoire Triangle : quelques chiffes
Une unité de grande taille pour un laboratoire de Sciences Humaines et Sociales :
• 127 C & EC
• 117 doctorant.e.s relevant de 4 ED différentes
• 3 post-doctorants
• 17 personnes physiques pour l’accompagnement à la recherche
Pourriez vous nous décrire l'ambiance au sein du laboratoire ?
Disons que nous commençons à nous installer dans de nouvelles habitudes. Il est difficile de parler d’une ambiance car ce qui fait aussi l’atmosphère au quotidien de Triangle, avant le confinement, ce sont toutes ces rencontres inopinées, tous ces échanges imprévus qui rendent nos lieux géographiques communs si précieux et qui permettent toutes les formes de sollicitations et de sociabilités inattendues : des conseils et des renseignements divers jusqu’aux éclats de rire en passant par le café ou le thé partagés. Tout ça n’est provisoirement plus.
Mais la virtualité des relations à distance rend créatifs. Il y a toute une activité de substitution qui se met en place par le biais d’une circulation plus organisée d’informations, professionnelles mais aussi plus variées. Lectures et partages de textes, articles, billets et autres annotations portant sur les circonstances que nous traversons, etc. Parfois pour détendre l’atmosphère ou pour apaiser des inquiétudes ; parfois pour prendre un peu de distance avec humour. Ces échanges s’opèrent par listes d’affinités et ne concernent pas nécessairement toutes et tous. Ce qui est d’ailleurs assez naturel puisque c’est aussi le cas en temps normal.
Ce qui est remarquable, c’est que tous ces échanges manifestent, à des degrés divers, le besoin renouvelé de construire autrement ce dont nous avons tous et toutes besoin : sortir autant qu’il est possible de l’isolement ; comprendre ce qui advient, etc.
Tous les moyens techniques, sous une forme ou sous une autre, sont mobilisés et adaptés : mails, plateformes de discussion, WhatsApp, Renater, téléphone, Skype, etc. Parce que, dans ces nouvelles circonstances, entendre les voix, voir et regarder les visages devient de grande importance - presque vital !
Quelle organisation pour les personnes à l'étranger ?
Dans un premier temps, les contacts ont surtout été orientés vers celles et ceux qui étaient encore à l’étranger au moment du confinement. Avec des situations très différentes et parfois complexes d’un pays à l’autre, il a fallu échanger beaucoup pour maintenir le lien et organiser, dans certains cas, les conditions du retour. Depuis cette semaine, ce point est à peu près réglé grâce aux efforts remarquables de Marie et Pascal, notre secrétariat général. Toutes celles et tous ceux de nos collègues et doctorant.e.s, qui étaient concerné.e.s sont enfin rentré.e.s ; celles et ceux qui demeurent à l’étranger, désormais, sont dans leurs familles.
et pour les doctorants ?
Notre inquiétude porte beaucoup sur nos doctorant.e.s. La situation en temps normal est déjà complexe et exige de nous que nous soyons attentifs-ves à celles et ceux qui sont plus fragiles. La distance imposée nous conduit à imaginer d’autres moyens pour garder le contact. Sur ce plan, grâce au dévouement sans faille du secrétariat général, une fois encore, nous avons mis en place un système de messagerie plus personnalisée.
Par petits groupes, nous nous adressons à chacune et à chacun d’entre les doctorant.e.s et nous leur demandons de nous donner des nouvelles : d’eux/elles -mêmes ; mais aussi des nouvelles à propos de leurs conditions actuelles de confinement et de travail. La rapidité des réponses nous laisse comprendre que cela correspond à une attente réelle. A cela, il faut encore ajouter que nous avons convenu ensemble – la direction et le secrétariat général – de contacter individuellement chaque chercheur, enseignant-chercheur, post-doctorant, associé, personnel d’accompagnement à la recherche, qui appartiennent à chacune de nos tutelles. Cela, même si, et surtout si, nous n’avions pas de raisons professionnelles spécifiques d’entrer en relation avec eux/elles depuis le début du confinement.
Il s’agit, là encore, de s’enquérir de leur situation, de leur santé, de leurs éventuelles difficultés liées à l’isolement ou, plus simplement, de prolonger, par ces échanges, ce qui fait un peu la marque de fabrique de l’esprit Triangle. Je dois reconnaître que l’ensemble de ces tâches alourdissent considérablement le travail du secrétariat général. Je tiens tout particulièrement à le remercier. Cela se fait progressivement, car nous sommes une grosse unité de recherche. Dans toutes ces situations, nous veillons, bien sûr, à ne jamais outrepasser les règles de la privacy.
et la Recherche ?
Pour ce qui est du travail de gestion et d’accompagnement de la recherche proprement dit, nous avons instauré quelques principes pratiques pour soutenir nos échanges – sans doute peu originaux mais utiles et efficaces. Le mail, bien sûr et, comme pour tout le monde, priorité est donnée au traitement électronique des affaires courantes. Nous avons mis en place, également, des rendez-vous réguliers par visio-conférence qui réunissent Marie Lucchi, Pascal Allais pour le secrétariat général, Ludovic Frobert et moi-même pour la direction du laboratoire. Nous faisons ainsi, au moins une fois par semaine, le point sur les affaires en cours et sur les problèmes qui demeurent en suspens. Nous avons prévu également des rencontres par visio-conférence avec tous les gestionnaires de notre unité.
Pour rappeler que, malgré tous ces efforts, il est difficile de faire comme si de rien n’était ; je rappelle que notre unité est de grande taille pour un laboratoire de Sciences Humaines et Sociales (cf. encadré) Et je ne compte pas tout le monde.
Nous sommes parvenus à organiser le télétravail pour la totalité des personnels d’accompagnement de la recherche. Nous avions un peu anticipé la perspective du confinement et tous les ordinateurs-portables du laboratoire disponibles ont été équipés des outils indispensables de gestion, etc.
Comment l'équipe Triangle fonctionne-t-elle actuellement ? Comment s'organise la recherche et l'enseignement à distance ?
Il faut bien dire que l’ensemble fonctionne au ralenti pour ce qui est du travail « collectif » — effet inévitable de la distance : l’isolement. Les séminaires, les journées d’études qui, souvent, impliquent des collègues étrangers ont été annulés ou reportés sine die. Si la continuité pédagogique est peut-être plus aisée à organiser lorsque nous avons des enseignements à petits effectifs, la chose est bien plus incertaine pour de gros effectifs. Certaines initiatives pour organiser des séminaires à distance sont encore à l'état d'ébauche, il est donc trop tôt pour en parler.
Avez-vous connaissance d'initiatives particulières ?
Il est difficile de répondre à cette question à l’échelle du laboratoire en son entier. Je pense, là aussi, qu’il faudrait avoir une vision plus fine et détaillée ; ce qui me semble encore bien trop tôt. Reste que, à ce jour, et au-delà des formes régulières de sollicitation ci-dessus évoquées, je n’ai pas connaissance de telles initiatives – ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas.
Cependant, nous transmettons systématiquement tous les appels à des formes diverses d’implication dans des activités de soutien ou de don que nous recevons. Nous avons appris, par exemple, et grâce aux échanges réguliers effectués avec nos doctorants que certains se sont impliqués dans des associations d’aide et de solidarité sur le plan national.
Des anecdotes ?
Certains collègues avec qui nous sommes en contact – par visio-conférence notamment – nous ont demandé d’organiser des pots de l’amitié à distance. Dans les conditions actuelles et en raison du nombre, il paraissait impossible de le faire !
Le 1er avril, l’Association Nationale des Candidats aux Métiers de la Science Politique, association à laquelle adhèrent tous les politistes de Triangle et près de 5.000 collègues, un peu partout en France et à l’étranger, nous annonçait sa fin de vie pour le 31 de ce mois ! Un vent de panique a parcouru nos rangs. Plus sages (?), quelques philosophes sont intervenus sur la liste pour confirmer qu’il s’agissait-là d’un canular !
Ce même 1er avril, certains de nos ITA m’ont transmis de faux formulaires portant sur le versement de primes exceptionnelles proposés par telle ou telle de nos tutelles en raison du sur-travail de toutes et tous depuis le début du confinement !
Claude Gautier, directeur du laboratoire Triangle
Claude Gautier est professeur de philosophie à l’École normale supérieure de Lyon depuis 2012 et directeur du laboratoire Triangle.
Il poursuit des recherches sur l’histoire critique des rapports entre philosophie et sciences sociales. Dans ce cadre, il a publié Hume et les savoirs de l’histoire (Vrin, collection Contexte, 2005) et La force du social : Enquête philosophique sur la philosophie des pratiques de Pierre Bourdieu (Cerf collection Passages, 2012.
Il inscrit également ses recherches dans un programme collectif de lecture de la philosophie pragmatiste américaine de la première génération. Dans ce cadre, il a co-traduit et édité avec Stéphane Madelrieux John Dewey [1910] L’influence de Darwin sur la philosophie et autres essais de philosophie contemporaine (Gallimard, collection Bibliothèque de philosophie, 2016). Il a fait paraître en 2017, dans l’European Journal of Pragmatism and American Philosophy [IX-2] : « Attitudes of Knowledge and Common Sense. Remarks on Read and Dewey » [p.1-24].
Au croisement de ces deux orientations de recherche, il contribue à un réexamen de l’empirisme sceptique moderne anglo-écossais.
Son ouvrage récemment paru chez ENS-éditions, collection La croisée des chemins : Voir et connaître la société. Le regard sociologique dans les Lumières écossaises.
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