Interview de Natacha Coquery, directrice adjointe du Larhra , Guillaume Garner, futur directeur adjoint, Perrine Camus et Raphaël Lachello, doctorants à l’université Grenoble Alpes.
Le LARHRA : quelques chiffres
89 enseignants-chercheurs et chercheurs
110 doctorants
14 personnels ingénieurs, techniques et administratifs
6 axes de recherche : Action publique et mondes urbains ; Art, images, sociétés ; Savoirs ; Genre ; Religions et croyances ; Territoires, économie, enjeux sociétaux)
3 ateliers transversaux : Atelier Sociétés en guerre, Atelier Images-sons-mémoires, Pôle Histoire numérique
5 implantations : MSH Lyon St-Etienne, Université Jean Moulin Lyon 3, ENS de Lyon, UGA et ENS site de Montrouge
5 tutelles : Universités Lumière Lyon 2, Jean Moulin Lyon 3, Grenoble Alpes, ENS de Lyon, CNRS
D’emblée Natacha Coquery, directrice adjointe du Larhra et Guillaume Garner, futur directeur adjoint, ont souhaité inclure des doctorants à leur retour d’expérience. C’est pourquoi Perrine Camus et Raphaël Lachello, doctorants à l’université Grenoble Alpes, se sont joints à eux. Car chacune, chacun, en fonction de sa localisation, de sa fonction, de sa situation personnelle, n’a pas vécu ces derniers mois singuliers de la même manière, et n’en tirent pas les mêmes conclusions. Quatre historien.nes nous font partager leur expérience.
Il y a eu autant d’expériences que de personnes dans le laboratoire
La situation exceptionnelle que nous vivons depuis le 16 mars n’a pas eu le même impact sur nos vies professionnelles, dit Natacha Coquery. Pour les enseignants-chercheurs en SHS, il n’y a pas d’adéquation stricte entre le laboratoire et le lieu de travail, chaque enseignant-chercheur pouvant travailler chez lui, en bibliothèque, sur le terrain ou dans son laboratoire, alors que pour les ingénieurs, techniciens et administratifs (ITA) la rupture d’habitudes a été majeure. Le rôle de la secrétaire générale, Véronique Grandjean, a été essentiel pour maintenir le lien et l’énergie collective, avec des réunions en visioconférence réunissant toute l’équipe administrative. Les doctorants quant à eux, nous explique Perrine Camus, ont diversement vécu la situation. Pour tous, la fermeture des bibliothèques, des universités, ainsi que des services d’archives, a provoqué une limitation forte dans l’accès aux ressources, malgré l’ouverture massive des ressources numériques en libre accès. Livres, documents d’archives ont pu manquer, notamment pour les doctorants en début de thèse qui n’avaient pas encore eu le temps de constituer leur « trésor de guerre », autrement dit leur corpus de ressources sous forme numérique à partir de documents physiques. D’où des retards dans les travaux, sans compter les frustrations relatives à la soutenance des thèses en visioconférence qui ont pu provoquer le décalage de soutenances. Ni les incertitudes concernant les stages et missions à l’étranger, comment rentrer, ne pas savoir quand pouvoir repartir, dans quelles conditions se préparer, comment travailler en attendant ?
Un accroissement de la parcellisation de la recherche en SHS ?
Natacha Coquery et Guillaume Garner brossent un tableau nuancé de la période : d’un côté une expérience des réunions inter-sites facilitée par l’usage de la visioconférence, malgré le manque d’interactions en présentiel ; de l’autre, une certaine impatience, avec le sentiment qu’on n’arrive pas à retrouver des fonctionnements simples dans l’enseignement et la recherche alors que la reprise d’activités s’observe partout. Mais ce qu’ils évoquent surtout, c’est la tendance structurelle à la « parcellisation » de la recherche en SHS, sans cacher leur crainte que le développement des usages numériques, avec la réduction des liens interpersonnels qui ne peuvent vraiment être développés qu’en présentiel, ne contribue durablement à l’émiettement des individualités.
La contrainte a fait naître l’imagination
Perrine Camus et Raphaël Lachello ne partagent qu’en partie cette crainte. Pour eux, les limitations dues au confinement et à la distanciation physique ont été aussi une opportunité pour maintenir, voire renforcer, le lien entre des doctorants très éclatés géographiquement. Une doctorante, Lucie Roudergues, enseignante à Dijon, est à l’initiative de la création, avec trois autres doctorants du laboratoire (Camille Cordier, Johanna Daniel et Nicolas Broisin), d’un serveur sur DISCORD. Pour les Jeunes Chercheur-es du LARHRA, cet outil ne constitue pas un énième réseau social, mais un, ou plutôt des espaces de travail virtuels, offrant de nombreuses fonctionnalités collaboratives. Ce que les doctorants observent, c’est que déjà entre eux, cet outil a permis de renforcer, voire de créer, des échanges riches et utiles. Natacha Coquery remercie les doctorants pour cette initiative et la manière dont ils s’en sont emparés : « C’est formidable cette explosion d’inventivité qui s’est mise en place, ça crée du lien à la fois amical et savant. La contrainte a fait naître l’imagination et ce ciment-là nous perdurera bien au-delà de la période de l’épidémie ! ».
Cette crise est autant une rupture qu’une loupe
Puisqu’on s’adresse à des chercheurs historiens, on ne peut pas ne pas leur demander comment ils situent cette expérience dans une perspective de recherche en histoire. Oui, le confinement, l’épidémie, sont de formidables terreaux pour produire de l’observation, de la réflexivité tant sur son expérience personnelle que sur les expériences plus collectives et, partant, vont générer de futures sources très riches pour les chercheurs. Le Larhra a produit 10 contributions sur le blog du confinement d’Hypothèses.org, les sollicitations des journalistes se sont multipliées (Cf Extrait de la revue de presse ci-dessous).. Il y a eu un avant-COVID-19, il y aura un après-COVID-19 mais quand celui-ci commencera-t-il vraiment et de quels changements sera-t-il porteur ? Guillaume Garner souligne que cette crise est autant une rupture qu’une loupe portée sur nos fonctionnements et dysfonctionnements, qu’il faudra avoir plus de recul pour analyser la gestion de la crise et les différences selon les pays et les systèmes institutionnels, dans leur capacité à s’adapter à ce contexte inédit. Natacha Coquery évoque l’un des axes de recherche du prochain contrat quinquennal du laboratoire, portant sur la régulation par l’action publique. Pour elle, cette crise va cristalliser tant de discours et d’actions que le COVID-19 sera un parfait objet d’étude pour alimenter cet axe de recherche.
La reprise d’activité ? Surtout des questions sur la rentrée
Mais pour tous, l’enjeu immédiat porte moins sur les implications en matière de recherche que sur les questionnements nombreux qui concernent la prochaine rentrée. Dans les conditions de distanciation qui risquent d’être prolongées, comment imaginer l’accueil des étudiants, quel contact établir avec eux ? Les contraintes liées aux difficultés d’accéder aux ressources de documentation et d’archives auront-elles des conséquences sur les maquettes et l’organisation des enseignements ? Comment résorber les difficultés d’accès aux équipements numériques ? Si Guillaume Garner précise que les problèmes à l’ENS de Lyon sont en partie atténués par la petite taille des effectifs, il partage les interrogations de Natacha Coquery. Il est encore trop tôt pour savoir les leçons que l’histoire tirera de cette crise du COVID-19. Nul doute que le Larhra y apportera sa contribution.
Extrait de la Revue de presse du Larha
- Interviewé pour l'article de Mélinée Le Priol, "Quand les microbes font l'histoire", La Croix, 2 juin 2020, p. 17.
- Invité de l'émission Le Cours de l'histoire, France Culture, 14 mai 2020.
- Interviewé pour l'article de Simon Blin,"L'hygiène n'est pas le propre de notre société moderne", Libération, 13 mai 2020, p. 20-22.
- Interviewé dans l'émission CQFD de la radio TSR le 23 avril 2020 Comment les épidémies influencent-elles lʹarchitecture de nos villes ?
- Interviewé pour l’article de Cécile Peltier, « Peste, choléra, tuberculose… les épidémies ont modelé nos villes », Le monde, 30 mars 2020. l
- Interview dans Le Monde du 20 juin (à paraître)
- "Les épidémies sont la rançon de l'ouverture du monde", Sud Radio - lundi 13 avril 2020
- "Non, la France ne traverse pas la plus grande crise sanitaire de son histoire" - Tribune libre, Le Figaro, 8 avril 2020
La revue de presse intégrale du Larhra sera en ligne sur leur site.
Natacha Coquery, directrice adjointe du Larhra
Ancienne élève de l’ENS Fontenay, agrégée d’histoire, Natacha Coquery est professeure d’histoire moderne à l’université Lumière Lyon 2, directrice adjointe du LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, UMR 5190), membre senior honoraire de l’Institut universitaire de France (2014-2019). Ses recherches actuelles portent sur le marché du luxe sous la Révolution française.
Guillaume Garner, futur directeur adjoint
Maître de conférences en histoire moderne à l’ENS de Lyon et chercheur à l’UMR 5190 LARHRA. Il a été chercheur à la Mission Historique Française en Allemagne à Göttingen (2006-2009) et à l’Institut Français d’histoire en Allemagne de Francfort-sur-le-Main (2009-2011).
Perrine Camus
Doctorante en histoire à l’UGA et au LARHRA
Représentante des doctorant-es du LARHRA titulaire – site de Grenoble
Raphaël Lachello
Doctorant en histoire, il étudie l'évolution des relations société-environnement. Il réalise pour sa thèse une histoire des forêts alpines, en prenant comme cas d'étude la vallée de la Maurienne. Il se concentre sur le XIXe siècle, une période durant laquelle les forêts alpines sont passées du statut de ressource domestique et industrielle, à celui de paysage pittoresque. Un basculement qui constitue le terreau de notre conception actuelle des espaces forestiers
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