Une équipe du Centre international de recherche en infectiologie démontre qu’une coopération bactérienne renforce la persistance des infections pulmonaires chez les personnes atteintes de mucoviscidose.
Communication de L'Université Claude Bernard Lyon 1 le 21 septembre 2020.
Depuis quelques années, des travaux en biologie mettent en lumière les comportements de coopération entre espèces au sein de notre organisme. Parfois à notre avantage, comme dans notre microbiote intestinal qui assure une protection immunitaire. Mais parfois cette coopération se fait à nos dépens. C’est le cas pour les bactéries Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus, responsables d’infections pulmonaires chez les patientes et patients atteints de mucoviscidose. Une équipe de recherche du Centre international de recherche en infectiologie (CIRI – UCB Lyon 1 / CNRS / INSERM / ENS de Lyon) a montré que ces deux agents pathogènes développent une coopération favorisant leur persistance au sein des poumons. Les travaux sont publiés dans la revue ISME Journal.
À la recherche d’une signature génétique de la coexistence
Chez les personnes atteintes de mucoviscidose, la co-infection pulmonaire à Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus est une situation très fréquente. Au sein des poumons, les deux agents pathogènes présentent une gamme d'interactions évoluant de la compétition vers la coexistence. Bien que l’effet de P. aeruginosa sur la physiologie de S. aureus soit bien décrit, peu d’études ont évalué comment P. aeruginosa pouvait être affecté par la présence du staphylocoque. C’est justement ce dernier point sur lequel s’est penché l’équipe du CIRI.
Pour cela, les chercheuses et chercheurs se sont concentrés sur l’état de coexistence entre ces agents pathogènes et ont cherché à caractériser une des signatures possibles de cette interaction : les dérégulations transcriptomiques et métaboliques.
L’analyse transcriptomique caractérise le transcriptome, c’est-à-dire l’ensemble des ARN issus de la transcription du génome. Cela permet notamment d’identifier les gènes actifs et les mécanismes d’expression des gènes dans des conditions données. L’équipe lyonnaise s’est ainsi intéressée aux gènes spécifiquement affectés chez P. aeruginosa en présence de S. aureus.
Une coexistence source de dérégulations de l’expression des gènes
En testant jusqu’à 21 couples de P. aeruginosa et S. aureus isolés de patientes et patients atteints de mucoviscidose co-infectés, les chercheurs ont retenu une liste de gènes impliqués notamment dans le métabolisme énergétique de P. aeruginosa. Le catabolisme, processus permettant la dégradation de molécules aboutissant à la production d’énergie dans la cellule, est ainsi particulièrement dérégulé chez P. aeruginosa en présence de S. aureus.
Les résultats de ce groupe de recherche révèlent une sous-régulation des gènes impliqués dans le catabolisme du glucose chez P. aeruginosa. Parallèlement, une sur-régulation des gènes impliqués dans le catabolisme de sources de carbone alternatives telles que l’acétoïne a été observée. En effet, en présence de S. aureus, environ 65% des souches de P. aeruginosa ont notamment présenté une forte surexpression du système aco, responsable du catabolisme de l’acétoïne.
Les suivis de la concentration de l’acétoïne en milieu de culture ont par ailleurs révélé que la molécule était spécifiquement produite par S. aureus en mono et en co-culture. En réponse, la surexpression du système aco permet à P. aeruginosa de dégrader l’acétoïne produite par S. aureus.
L’acétoïne au cœur d’une coopération bactérienne
Ces travaux démontrent que ce catabolisme bénéficie aux deux partenaires de l’interaction : il fournit à P. aeruginosa une source de carbone alternative et améliore sa survie en milieu appauvri, mais il favorise également la survie de S. aureus lors de son interaction prolongée avec P. aeruginosa. En effet, l’accumulation d’acétoïne dans le milieu, en absence de dégradation par P. aeruginosa, apparaît toxique pour le staphylocoque. Le métabolisme de l’acétoïne entre ces deux pathogènes s’apparente donc à une coopération trophique.
Les chercheurs ont par ailleurs montré que cette coopération trophique était favorisée par l’interaction de coexistence : en comparaison à des souches isolées de couples compétiteurs, les souches coexistantes ont présenté une capacité augmentée à produire l’acétoïne pour S. aureus, et à cataboliser l’acétoine pour P. aeruginosa. Ces résultats suggèrent qu’une co-évolution des deux pathogènes in vivo pourrait favoriser l’établissement de coopérations trophiques, et plus généralement de la coexistence bactérienne.
Cette étude a donc permis de montrer que le métabolisme énergétique de P. aeruginosa est largement affecté par la coexistence avec S. aureus, permettant la mise en place de stratégies coopératives favorisant la survie des deux pathogènes. Cette hypothèse de coopération bactérienne avait déjà été suggérée par ce groupe de recherche dans leur étude précédente, qui avait mis en évidence l’augmentation de la résistance antibiotique de S. aureus en présence de P. aeruginosa.
Sources : Trophic cooperation promotes bacterial survival of Staphylococcus aureus and Pseudomonas aeruginosa. Camus, L., Briaud, P., Bastien, S., Elsen S., Doléans-Jordheim A., Vandenesch F. & Moreau K. ISME J (2020).
Coexistence with Pseudomonas aeruginosa alters Staphylococcus aureus transcriptome, antibiotic resistance and internalization into epithelial cells. Briaud, P., Camus, L., Bastien, S., Doléans-Jordheim A., Vandenesch F. & Moreau K. . Scientific Reports (2019).
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