Dès qu'il naît, l'amour semble s'accompagner d'un désir de durer pour toujours, et de l'intime croyance dans le fait qu'il durera. Parfois, cette croyance s'appuie sur l'énigmatique oubli de ce que cet amour, il y a encore quelques instants, n'avait pas d'existence. Car, dès son apparition, l'amour paraît créer, par on ne sait quel moyen, quelque chose comme un passé commun dont il entoure les amants, suppléant ainsi aux longs souvenirs. Projetant son évidence sur notre passé, l'amour étend ainsi sa clarté sur l'avenir lui-même, et l'on peinerait, en effet, à croire en l'amour de celui qui formerait le projet d'aimer provisoirement.
Pourtant, en dépit de sa prétention à l'éternité, l'amour rencontre, bien souvent, un très grand nombre d'obstacles à son maintien. Car le temps, s'il fait que nous devenons ce que nous sommes, fait aussi que nous changeons, et que nos sentiments aussi bien que ceux que l'on nous porte peuvent, en conséquence, changer eux aussi. S'il peut être ce qui rapproche et unit toujours davantage deux sujets, en consolidant leur sentiment, le temps est aussi l'occasion pour l'amour de s'altérer : avec le temps, le désir parfois s'éteint, et avec lui la passion. Et lors même que la relation semble se maintenir, ce n'est parfois qu'en vertu d'une lente et discrète substitution de l'amour par l'habitude : ainsi croit-on que l'amour perdure tandis qu'il a, en fait, disparu sous l'effet de celle-là. Répondre à la question du devenir supposerait alors de se demander si, entre l'extinction du désir et le sommeil de l'habitude, un moyen pourrait exister d'aimer et de s'aimer dans le temps long.
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