L’expression « physiologie du travail » apparaît dans les Congrès d’Hygiène et de Démographie de 1900 à 1904 pour désigner un nouveau programme de recherches – que quelques savants et hommes politiques appellent de leurs vœux – appliquant les méthodes et modèles de la physiologie fondamentale à l’étude du corps au travail dans différentes professions déterminées. Se dotant en 1913 d’un premier laboratoire public officiel, la « physiologie du travail professionnel » tente d’initier – à travers la diffusion d’études de cas et la publication de textes programmatiques – une vaste entreprise d’analyse scientifique du travail humain censée permettre de rationaliser la législation, d’arbitrer les conflits et d’optimiser l’organisation du travail. Développées d’abord indépendamment des travaux de Taylor, ces recherches vont pourtant (dès le début des années 1910) se présenter comme une amélioration du taylorisme – entérinant ses grands principes mais adaptant ses applications aux spécificités de l’organisme humain. Prenant ce "moment 1900" comme point de départ de la réflexion, le présent travail cherche à réinscrire les débats qui ont agité la constitution de cette nouvelle discipline dans la perspective de leur histoire longue – car le corps au travail n’attend pas le tournant du XXe siècle pour faire l’objet d’études scientifiques. L’hypothèse mise à l’épreuve est alors la suivante : le problème épistémologique essentiel qui se joue dans l’idée de « physiologie du travail » tient à ce que des spécialistes du fonctionnement organique vont subitement proposer d’analyser la façon dont les travailleurs utilisent leurs corps, et prétendre ainsi évaluer et optimiser cet usage à l’aune de critères directement issus d’une modélisation physiologique. Pour repérer les origines et suivre les évolutions de cette idée originale à travers les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, on s’est donc proposé d’interroger les glissements – dans quelques grandes études de cas historiques d’analyse du travail humain – entre l’intérieur et l’extérieur du corps opérés par une modélisation tendue entre désir de comprendre et volonté de réformer. Si le matériau analysé est de nature historique, l’angle d’analyse est – par contre – une question de type philosophique : qu'est-ce que les motivations et les difficultés des « physiologistes du travail » nous apprennent quant à la volonté de dicter aux êtres humains le « bon usage » de leur propre corps – pour leur bien, et au nom d'une connaissance experte de son fonctionnement ? La problématique du présent travail cherchera en effet à comprendre pourquoi ces physiologistes d'un genre nouveau ont prétendu assigner au corps des ouvriers un mode d'emploi – et surtout pourquoi une telle prétention a finalement échoué, ouvrant la voie à une nouvelle façon d'aborder le problème dans ce qui deviendra à terme l'ergonomie.
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