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Le département des sciences humaines à l’heure du Coronavirus : l’exigence intellectuelle au service du courage moral

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Actualité / Interview
 

Exigence intellectuelle et courage moral : le confinement ne nous renverrait-il pas à quelques notions essentielles dans la philosophie comme dans la pédagogie ? Rencontre virtuelle avec Laurent Lavaud, professeur en philosophie antique, directeur du département des sciences humaines à l’ENS de Lyon, qui revient sur plus d’un mois de travail à distance et amorce quelques réflexions sur les activités à venir pour son département.

"Nous avons fait comme dans tous les autres départements, nous nous sommes adaptés et avons adopté différentes techniques d’enseignement à distance, soit par le biais des plateformes disponibles, notamment Big Blue Button, soit par des voies plus classiques d’envoi de cours et documents à nos étudiants", dit Laurent Lavaud. Il souligne qu’au département des sciences humaines, continuité pédagogique ne pouvait être entendu comme permanence des méthodes d’enseignement et ne devait pas masquer le moment de crise que nous traversons tous. Il observe également que cette expérience de l’éloignement physique de ses étudiants lui a rappelé, comme à ses collègues, l’importance fondamentale de l’incarnation physique dans le rapport pédagogique avec les étudiants. "Pour autant, souligne-t-il, et de manière assez paradoxale, nous n’avons jamais été aussi attentifs à leur situation propre en tant que personne, à leurs conditions d’existence et à leurs expériences individuelles du confinement, ce qui a encore renforcé notre relation personnelle avec eux. Cela a mis d’autant plus en lumière le rôle primordial des tuteurs".

Laurent Lavaud évoque également l’un des effets subis mais bénéfiques de cette crise : "De nombreux étudiants commençaient tout juste la rédaction de leur projet de recherche, ils ont renoué avec une tradition très philosophique de la retraite et de la solitude, de celles qui permettent de mettre le monde à distance pour mieux le penser". Et de citer Les méditations métaphysiques de Descartes ou Les rêveries du promeneur solitaire de Rousseau… Une mise à distance propice à la réflexion mais un monde encore ô combien accessible ! Car tout confiné que l’on soit, on a accès à une somme incroyable de ressources. Laurent Lavaud rend un hommage particulier à la BDL qui a mis énormément de ressources en accès libre, comme tant d’autres, permettant ainsi aux étudiants comme aux chercheurs de poursuivre leurs travaux. Même s’il reconnaît que pour les étudiants qui menaient des enquêtes de terrain, le coup d’arrêt a pu être brutal. Il remarque également que cette crise met ou remet en lumière des concepts philosophiques fondamentaux. Les recherches actuelles sur une approche philosophique de la santé (telles que menées actuellement dans le département par Julie Henry ou Samuel Lézé) et la montée du concept du CARE lui semblent au cœur des problématiques actuelles. Tout comme les travaux de ses collègues en philosophie politique. Et lui qui est spécialiste de la philosophie antique dit pouvoir puiser dans ses auteurs de prédilection beaucoup d’enseignements à méditer sur la crise actuelle. Il convoque l’exigence intellectuelle autant que la vertu morale comme moteurs pour vivre, expérimenter, méditer cette expérience inédite que nous sommes en train de vivre.

Cependant, le quotidien de Laurent Lavaud, de sa collègue Audrey Rieber, directrice adjointe du département et des autres enseignants n’est malheureusement pas toujours consacrée à ces méditations, ce qu’il déplore dans un sourire. Le contexte particulier et le chamboulement des calendriers rend le travail de réorganisation des activités extrêmement intense : organisation des évaluations, qui sont en cours ; questionnements sur la meilleure manière d’accompagner jusqu’aux épreuves écrites reportées de deux mois la vingtaine d’agrégatifs par ailleurs privés d’oral ;  réorganisation des corrections des épreuves de concours par Delphine Antoine. Sans parler du temps consacré à rester en lien avec chacune et chacun. "Toutes ces tâches sont lourdes en temps normal, dans le contexte actuel, elles risquent parfois d’être écrasantes", dit Laurent Lavaud. Même si l’expérience d’une visio-conférence pour une commission d’attribution de contrats doctoraux lui fait dire que le travail à distance a aussi du bon, qui a permis de réunir plus de personnes à distance que d’habitude en présentiel.

Laurent Lavaud estime malgré tout que l’activité du département des sciences humaines peut se poursuivre à distance sans difficultés insurmontables jusqu’à la fin de l’année universitaire. L’essentiel des activités pédagogiques, y compris la préparation des écrits des agrégatifs, est achevé. En revanche, il ne conçoit pas aujourd’hui une rentrée 2020 "comme si rien ne s’était passé". Malgré la pression qui va peser sur le calendrier de rentrée, il aimerait que celle-ci soit aussi un moment de réflexion pour accompagner les étudiants qui auront vécu une fin d’année chahutée. Comment leur apporter une bienveillance, un accompagnement non seulement pédagogique mais aussi personnel suite à l’expérience individuelle et collective que nous avons vécue ? Pour conclure, il rappelle que toute crise reconfigure l’avenir. Quels enseignements allons-nous en  tirer ?

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