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Actualité de l'ENS de Lyon

Interview de Jean-François Pinton dans l'AEF

Jean-François Pinton
Actualité / Interview
 

Jean-François Pinton : "Je quitte la présidence de l’ENS Lyon pour créer les conditions d’un dialogue avec le ministère"
Par Anne Mascret.  
Dépêche n°678317 de l'AEF.


Jean-François Pinton : "Je quitte la présidence de l’ENS Lyon pour créer les conditions d’un dialogue avec le ministère"

C’est sans aigreur que Jean-François Pinton quitte la présidence de l’ENS de Lyon, explique-t-il dans un entretien à AEF info le 5 septembre 2022. Celui qui était à la tête de l’école depuis 2014 explique avoir "joué la dernière carte" qu’il avait en main pour "créer les conditions d’un dialogue" avec la tutelle et permettre l’élaboration d’une feuille de route commune et partagée. "Il est temps de sortir d’un cadre où l’établissement propose et l’État dispose" qui a conduit à une impasse pour le site lyonnais depuis dix ans. L’ENS de Lyon, qui bénéficie d’un "potentiel de folie" a besoin d’un "nouvel élan" et de "retrouver un langage académique", estime Jean-François Pinton, qui salue le fait que la ministre Sylvie Retailleau souhaite "s’investir personnellement dans la résolution du problème".

AEF : Vous avez démissionné de la présidence de l’ENS Lyon en juillet dernier, à la suite de l’annonce des résultats Excellences (lire sur AEF info). Était-ce un mouvement d’humeur lié à la non-sélection du projet Tools+ porté par l’ENS ?

Jean-François Pinton : Je ne vais pas dire qu’il n’y a pas de lien évidemment. Mais non, ce n’est pas un geste d’humeur d’une personne aigrie ou fatiguée – même si j’avoue ne guère avoir apprécié d’apprendre les résultats par la presse. Comme je l’ai expliqué à la ministre Sylvie Retailleau, je quitte la présidence de l’ENS pour créer les conditions d’un dialogue avec le ministère. Le processus de nomination d’un président d’ENS nécessite un accord sur une feuille de route avec le ministère de tutelle et une approbation des grandes autorités académiques. Et je pense qu’il est important que cela ait lieu maintenant.

AEF : Est-ce à dire que vous n’aviez jusqu’à présent pas de feuille de route claire, partagée avec votre tutelle ?

Jean-François Pinton : Force est de constater que la feuille de route n’a pas été comprise. Au cours des dix dernières années, l’ENS a proposé plusieurs formules à sa tutelle : une proposition fédérale avec le projet Palse en 2012 – qui a bénéficié d’un "rattrapex" –, puis un projet très intégré dans un EPE avec la candidature idex – arrêté par la ministre – et enfin un projet très académique avec Tools+, visant à financer des bourses pour nos étudiants normaliens et faire de la recherche multidisciplinaire – non retenu car jugé pas suffisamment transformant pour le site lyonnais. Je crois qu’il est temps de sortir d’un cadre où l’établissement propose et l’État dispose. La méthode "dites-moi, on vous dira" a conduit à une impasse. Il faut que chacun se mette autour de la table, et que l’on co-construise un projet pour éviter tout nouveau quiproquo préalable. Avec ma démission, j’ai donc joué la dernière carte qu’il me restait en main, pour créer les conditions de ce dialogue. Ma position n’est pas une critique, je n’en veux à personne, je l’ai fait avec énormément de bonne volonté, en tant que serviteur de l’État.

AEF : Comment a réagi la tutelle ?

Jean-François Pinton : J’ai eu une discussion très franche avec Sylvie Retailleau qui souhaite s’impliquer personnellement dans la résolution du problème. Dix ans de projets qui n’aboutissent pas, auxquels s’ajoutent deux ans de Covid et des budgets insuffisants au regard de l’augmentation des coûts, cela a généré beaucoup de frustration dans l’école. L’État ne souhaite pas que l’on reste dans cette situation et veut évidemment préserver les conditions d’une formation et d’une recherche de grande qualité.

AEF : Le discours de l’État va plutôt dans le sens d’une plus grande autonomie des établissements, estimant que c’est à eux de trouver le projet et qu’il est dans l’accompagnement…

Jean-François Pinton : Cette posture, c’est bien sur une période. Mais quand ça fait dix ans que ça bloque, il faut faire autre chose. Depuis dix ans, on parle de structuration, je crois qu’il est temps de retrouver un langage académique. Je l’ai bien senti au moment de l’élaboration du projet Tools+ : les collègues étaient heureux de reparler des fondamentaux d’une école. Il est temps de faire un compromis entre les attentes de l’État et celles de la communauté. La structuration ? Cela n’a jamais été une demande des établissements. C’est une volonté politique, qui a commencé avec les Comue en 2013. Mais tous les pays, même l’Allemagne, sont passés à autre chose. Qu’est-ce qu’un EPE apporte de plus en matière de formation et de recherche ? Le mérite de cette politique a peut-être été d’assumer la différenciation entre les établissements et de clarifier les missions : tout le monde ne peut pas tout faire et Paris n’est pas la province. La structuration ne doit pas être un préalable mais servir à quelque chose, permettre de faire de la meilleure recherche.

AEF : Quel avenir voyez-vous pour l’ENS de Lyon ?

Jean-François Pinton : Ce n’est pas à moi de le dire. J’observe simplement qu’il y a un potentiel de folie et qu’il est temps de remettre un peu d’élan dans le système. Car le reste du monde ne nous attend pas ! L’ENS est un modèle très bien compris à l’international car tous les pays du monde ont leur petite fabrique similaire. Je ne doute pas que l’État trouvera un profil à même de redonner ce souffle nécessaire.

AEF : Quelle est la suite pour vous ?

Jean-François Pinton : Je réintègre le CNRS qui est mon corps d’origine et je vais tranquillement préparer ma retraite qui n’est plus très loin.

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