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Actualité de l'ENS de Lyon

Interview d'Emmanuel Trizac dans AEF info

Emmanuel Trizac
Interview
 

Dépêche 700809 d'AEF info, par la journaliste Anne MASCRET.

Avec l’aimable autorisation de l’agence de presse AEF info.


ENS de Lyon : Emmanuel Trizac appelle de ses vœux une "maison commune" mais n’envisage pas de rejoindre l’EPE Lyon-I/Lyon-II

"Envisager de rejoindre un EPE serait mettre la charrue avant les bœufs", déclare Emmanuel Trizac, nouveau président de l’ENS de Lyon, dans un entretien à AEF info le 11 octobre 2023. Alors que le projet d’EPE Lyon-I/Lyon-II est en "stand-by", selon les termes de Nathalie Dompnier, présidente de Lyon-II, Emmanuel Trizac se veut très clair : il compte "parler structuration académique, mais pas institutionnelle", sans calendrier imposé ni avoir le "couteau sous la gorge" de la fin de l’expérimentation au 1er janvier 2025. Pour lui, le projet IAcluster porté par l’ENS de Lyon, qui a mis l’académique au centre, aura "valeur de test". Il aimerait à terme une "maison commune" qui partagerait la prospective scientifique, discuterait des campagnes d’emplois, et mettrait des fonds en commun. Dans cet entretien, il évoque également ses liens avec les autres ENS et l’avenir de l’IFÉ.


Emmanuel Trizac

AEF info : Vous êtes arrivé à la tête de l’ENS de Lyon il y a quatre mois, avec un profil plus scientifique que politique, dans un climat tendu en interne après un an de vacance de présidence et dans un contexte post-idex compliqué pour le site lyonnais. Un premier rapport d’étonnement ?

Emmanuel Trizac : Je ne suis pas venu ici décerner des bons et des mauvais points mais pour œuvrer pour le futur, que ce soit en interne ou à l’extérieur. J’ai donc passé beaucoup de temps à rencontrer les représentants de la communauté, que ce soit en instances ou en dehors, pour rétablir le dialogue, et j’ai constitué une équipe de gouvernance plus large et plus ouverte – avec deux membres hors ENS de Lyon [Stéphane Parola, VP stratégie, est professeur à Lyon-I, et Vincent Michelot, VP relations internationales, professeur à Sciences Po Lyon] – très au fait de toutes les problématiques qui vont nous occuper durant mon mandat.

S’agissant des partenaires extérieurs, je les ai rencontrés également, à commencer par ceux avec qui nous avons quantitativement le plus de liens – Lyon-I et Lyon-II – mais aussi Lyon-III et Sciences Po, ainsi que l’université Jean-Monnet et l’université Clermont Auvergne avec qui nous partageons des laboratoires. Sans oublier les partenaires du Chels (Collège des hautes études Lyon sciences) avec qui nous faisons des choses très intéressantes (enseignements communs et années de césure) sur la transition écologique.

AEF info : Même si le projet d’EPE entre Lyon-I, Lyon-II et CPE semble pour le moment à l’arrêt (voir encadré), l’ENS de Lyon a été très courtisée par les deux universités pour rejoindre le projet à terme. Quelle est votre ligne ?

Emmanuel Trizac : Envisager de rejoindre un EPE serait mettre la charrue avant les bœufs. J’aimerais discuter avec les partenaires d’une structuration académique et non institutionnelle. Savoir ce que l’on souhaite faire ensemble, sur une échelle de 5 à 10 ans, mettre du liant entre les établissements et les communautés, à partir de l’existant et dans le cadre de futurs projets académiques, puis de construire une maison commune, un lieu dans lequel on discuterait de prospective scientifique, mais aussi de questions RH pour les unités et les formations communes, et dans laquelle on mettrait des fonds en commun, sans toucher aux frontières des établissements. Car aujourd’hui, ces sujets ne sont pas évoqués : il n’y a par exemple pas de conférence RH commune avant les campagnes d’emploi, ce qui est problématique.
 

Le projet d'EPE Lyon-I/Lyon_II "en stand-by"
Nathalie Dompnier, présidente de Lyon-IINathalie Dompnier, présidente de Lyon-II | AEFLe projet d’EPE lyonnais est pour le moment "en stand-by", indique à AEF info Nathalie Dompnier, présidente de Lyon-II, le 21 septembre 2023. "Je garde la conviction que nous avons besoin d’une université pluridisciplinaire à Lyon. Une conviction qui ne peut être que renforcée quand je vois comment ça se passe autour du projet Shape-med@Lyon, avec l’émergence de projets vraiment pluridisciplinaires et de nouvelles thématiques de recherche. Mais malgré la dynamique enclenchée, on voit bien combien c’est lourd et complexe quand il faut mettre plusieurs institutions autour de la table et s’accorder sur une stratégie pour les AAP internes. Un EPE nous changerait la vie. Et c’est important au vu des enjeux de demain : chacun dans notre coin, nous ne sommes rien."
Les deux établissements ne parviennent toutefois pas à se mettre d’accord sur la gouvernance de l’ensemble. Lyon-I voudrait un EPE novateur sur le plan de la gouvernance, avec une place beaucoup plus importante des personnalités extérieures au CA, ce que Nathalie Dompnier estime impossible à faire passer à son propre CA. "Je crois qu’il faut nous soyons capables de trouver un compromis acceptable pour les deux communautés, même si ce n’est pas le schéma idéal", estime la présidente. "L’objectif doit-il être de construire une université pluridisciplinaire ou un établissement d’un nouveau type avec une gouvernance innovante ? C’est ce qu’il nous faut aujourd’hui clarifier avec nos partenaires."
Lyon-II dit "avoir refait trois propositions de scénario début juillet pour sortir de l’impasse et attendre le retour de Lyon-I". La présidente reconnaît que "le dialogue n’est pas fluide" même si les deux équipes de direction "continuent à échanger". "On n’y arrivera pas dans le calendrier que l’on s’était donné", acte-t-elle. "Mais si nous échouons, il faudra que ce sujet soit repris par nos successeurs."
Rappelons que les mandats des deux présidents se terminent le 1er décembre 2024 pour Frédéric Fleury et 5 février 2025 pour Nathalie Dompnier. Sollicitée par AEF info, Lyon-I n’a pas souhaité réagir pour le moment.


AEF info : Qu’entendez-vous par "maison commune" ? N’est-ce pas le rôle de la Comue ?

Emmanuel Trizac : La Comue n’a pas vocation à structurer les coopérations académiques sur le site mais à animer des actions transversales comme sur le patrimoine, l’international, l’entrepreneuriat, la vie étudiante…. La Comue est le village commun qui nous rassemble. Ici, il est question de dessiner une maison commune qui n’existe pas encore. Tous ces sujets sont évidemment à discuter et je n’ai pas de modèle à proposer : quelle devra être la géométrie des pièces de cette maison commune ? Devront-elles être construites selon des approches disciplinaires, thématiques ? Ressembler aux graduate schools que l’on a pu voir émerger sur d’autres sites ? Tout cela doit être débattu avec nos communautés, mais tranquillement, sans calendrier imposé par un quelconque appel à projets. Et avec la préoccupation de ne pas simplement rajouter une couche de plus : il ne s’agit pas de remettre une pièce dans la machine. J’aimerais que l’on retrouve l’esprit des labex qui ont été très positifs pour établir des ponts entre les disciplines, qui ont joué un rôle de catalyseur et permis d’associer les organismes de recherche.

AEF info : Ne va-t-il pas être un peu compliqué de discuter prospective scientifique ou conférence RH avec tous les établissements du site ?

Emmanuel Trizac : Il y a évidemment dans mon esprit plusieurs cercles et cette maison commune doit concerner ceux avec qui nous partageons le plus d’unités de recherche ou de formations.

AEF info : L’intérêt de ces structurations de site jusqu’à présent était aussi de recevoir davantage de financements, que ce soit via les idex, EUR, SFRI, Excellences… autant d’AAP aujourd’hui clos. Quant à l’expérimentation des EPE, elle s’arrête, en l’état actuel de la législation, au 1er janvier 2025…

Emmanuel Trizac : Il est clair que notre projet de maison commune devra être financé et c’est une question dont il faudra discuter avec l’État. Pour ce qui est de l’EPE, je ne souhaite pas remettre l’ENS de Lyon dans une situation d’urgence, avec le couteau sous la gorge. On ne peut pas commencer par cela.

AEF info : En démissionnant l’an passé après l’échec du projet Excellences porté par l’ENS de Lyon, Jean-François Pinton avait expliqué vouloir "créer les conditions d’un dialogue" avec la tutelle et "permettre l’élaboration d’une feuille de route commune et partagée" (lire sur AEF info). Avez-vous reçu une feuille de route claire de la part de l’État ?

Emmanuel Trizac : Non et c’est une chance. Nous sommes libres d’élaborer notre projet et nous nous retournerons vers la tutelle une fois que nous l’aurons arrêté. Pour moi, la bonne méthode est celle que nous avons mise en place pour l’AAP IAcluster en juin dernier et dont j’espère que l’issue [sans doute début 2024] sera heureuse pour le site lyonnais et son projet AIlys. C’est l’école qui porte le projet, lequel rassemble tous les acteurs du site. Il y a un vrai projet académique, porté par deux collègues, l’un de l’Insa et l’autre de l’ENS de Lyon, dont les personnalités font que les discussions sont très sereines. Pour moi, ce projet aura clairement valeur de test.

AEF info : Dans son dernier rapport sur l’école qui date de 2022 (lire sur AEF info), le HCERES préconisait deux choses en conclusion : "redéfinir ses alliances stratégiques" dans le contexte post-idex et "s’impliquer dans le réseau des écoles normales supérieures, aujourd’hui assez peu exploité". Où en êtes-vous sur le second point ?

Emmanuel Trizac : Avec le réseau des ENS, nous travaillons aujourd’hui sur deux points. Nous co-organisons un colloque scientifique sur la question de l’ouverture sociale qui se tiendra en juin 2024, à Paris et à Lyon (lire les détails ici). En partant des données, nous réfléchissons à des propositions sans tabou. Et par ailleurs, nous avons des rencontres régulières entre présidents pour échanger sur nos sujets communs : actuellement, nous parlons de sujets budgétaires puisque nous sommes toutes les quatre en déficit, notamment du fait de la non-compensation des mesures dites "Guérini" et du poids des élèves normaliens dans notre masse salariale. Pour 2023 uniquement, le surcoût des décisions de l’État pèse par exemple 4 M€ dans le budget de l’ENS de Lyon, dont 2,5 M€ pour le salaire des élèves, auquel il faut ajouter 3 M€ de surcoûts énergétiques. Notre fonds de roulement est à 20 M€. Notre déficit prévisionnel de 7 M€ n’est donc absorbable qu’une fois.

AEF info : Que va-t-il advenir de l’Institut français de l’éducation (IFÉ) qui n’abrite quasiment plus de chercheurs ? On sent que l’ENS de Lyon hésite depuis quelques années entre soutien et mise en extinction.

Emmanuel Trizac : L’IFÉ est un objet très reconnu par le MEN et très apprécié par les rectorats et les inspecteurs. Nous devons maintenant en faire l’objet le plus intéressant possible au sein de l’école également, ce qui implique de travailler l’articulation avec le LLE (le laboratoire de l’éducation), co-créé en 2016 avec le CNRS et abrité par l’ENS de Lyon.

L’IFÉ produit des choses de très grande qualité en matière d’interface entre la recherche et les communautés éducatives, qu’il s’agisse de la formation de formateurs ou de médiation scientifique : nous devons l’aider à jouer encore davantage ce rôle de passeur entre la recherche produite par le LLE et la communauté éducative. Il doit continuer à mon sens d’être dirigé par un universitaire capable de faire le pont entre le monde de la recherche et celui de l’enseignement.

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