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Allergies médicamenteuses, pourquoi certaines formes sont-elles parfois si sévères ?

Épiderme
Communiqué de presse / Publication
 

Une nouvelle étude menée par une équipe lyonnaise ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques et diagnostiques des allergies médicamenteuses cutanées, notamment pour les formes les plus graves.

Alerte presse de l'Université Claude Bernard Lyon 1 le 22 mars 2021. Publication du CIRI dans Sciences advances le 19 mars 2021.

 

Les allergies médicamenteuses cutanées constituent un effet secondaire répandu au sein de la population. Souvent bénignes, ces allergies débouchent dans certains cas sur des complications aux conséquences dramatiques. Pour mieux comprendre les facteurs d’apparition de ces formes graves, une équipe du CIRI (Inserm, Université Lyon 1, ENS de Lyon, CNRS), en collaboration avec le CHU de Nice et de l’Université de Berne, a étudié le rôle de lymphocytes T dans l’émergence de ces maladies. Les résultats, publiés dans la revue Sciences advances, ouvrent de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques. 

La prescription de médicaments est toujours conditionnée par la balance bénéfice-risque. S’ils se révèlent efficaces pour traiter des maladies et pathologies à grande échelle, d’éventuels effets secondaires non-négligeables sont aussi surveillés par les médecins. C’est le cas des réactions allergiques cutanées, l’un des effets secondaires le plus fréquent de la prise de médicaments.

Des formes bénignes aux formes les plus graves

Les réactions allergiques cutanées se présentent souvent sous la forme d’un rash cutané bénin, connu sous le nom d'exanthème maculo-papuleux (EMP). Cependant, certains patients développent des formes très sévères, avec formation de bulles à la surface cutanée correspondant à une nécrose extensive de l’épiderme. Ils développent alors une maladie appelée nécrolyse épidermique toxique (NET), qui nécessite une prise en charge en réanimation. Si quelques centaines de patients sont concernés chaque année en France par cette maladie, le taux de mortalité peut atteindre 40%. Et les patients qui cicatrisent présentent des séquelles importantes (troubles visuels, insuffisance respiratoire, douleurs cutanées...). En effet, aucun traitement spécifique n’existe, en dehors de l’arrêt du médicament suspect et de soins infirmiers en réanimation.

À l’heure actuelle, les scientifiques peinent à expliquer pourquoi la prise d’un même médicament entraine chez certaines personnes des réactions cutanées bénignes et chez d’autres des conséquences dramatiques. De plus, il est très difficile pour les cliniciens de prédire comment vont évoluer les plaques rouges sur le corps d’un patient admis à l’hôpital suite à une suspicion d’allergie médicamenteuse. Mais de récentes études suggèrent que les formes bénignes comme sévères seraient induites par les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques (CTLs). Ces agents de notre système immunitaire chargés d’éliminer les cellules infectées dans l’organisme sont recrutés et activés dans la peau suite à la prise du médicament à l’origine de l’allergie.

Le rôle des lymphocytes T : une question de qualité et de quantité

Une équipe de recherche du Centre international de recherche en infectiologie (CIRI - Inserm, Université Lyon 1, ENS de Lyon, CNRS) à Lyon, du Centre hospitalier universitaire de Nice et de l’Université de Berne, a approfondi la piste des lymphocytes T dans une nouvelle étude parue dans Sciences Advances.

Les scientifiques ont caractérisé le phénotype et les fonctions des lymphocytes T qui sont responsables de la formation des lésions chez les patients développant des NET – forme sévère - ou des EMP - forme bénigne. Leurs résultats confirment que les lésions cutanées sont infiltrées par de nombreux CTLs. Enrevanche, les CTLs impliqués dans les NET présentent un phénotype d’activation et de cytotoxicité exacerbé. Ils sur-expriment à leur surface des récepteurs d’activation comme le marqueur CD38, ainsi que de multiples médiateurs de cytotoxicité tels que les protéines : granulysine, granzyme B, granzyme A ou perforine, qui contribuent au développement et à l’extension de la nécrose cutanée.

Mais l’équipe de recherche est allée plus loin. Dans la plupart des pathologies inflammatoires cutanées, dont l’EMP, des lymphocytes avec des récepteurs T très différents sont retrouvés dans les lésions. Or, les résultats des chercheurs chez les patients atteints de NET montrent que les lésions sont infiltrées par quelques clones T uniques qui prolifèrent de façon massive en réponse au médicament. Ces résultats illustrent donc comment la quantité et la qualité, c’est à dire le phénotype d’activation et de cytotoxicité, des CTLs spécifiques de médicaments conditionnent la sévérité des allergies médicamenteuses

Vers de nouveaux moyens de prédire l’évolution de ces allergies

Sur la base de ces résultats, l’équipe de recherche a montré qu’il est possible de traquer ces clones cutanés dans le sang des patients atteints de NET. Les scientifiques ont alors prélevé des échantillons de sang chez des patients pris en charge à Lyon souffrant de différentes formes d’allergies cutanées lors de leur admission en service hospitalier. Résultat, plus le niveau d’expansion des T clones cutanés était élevé dans le sang, plus la maladie s’exprimait sous une forme sévère.

Ces résultats ouvrent des perspectives diagnostiques et thérapeutiques majeures pour les cliniciens. A ce jour, il n’existe en effet aucun traitement permettant de freiner l’évolution de cette maladie, limiter sa sévérité - la nécrose épidermique atteignant parfois 100% de la surface corporelle -, ainsi que les nombreuses séquelles qu’elle engendre. L’utilisation d’anticorps monoclonaux ciblant le récepteur CD38 s’étant révélée prometteuse pour ralentir l’évolution de certains myélomes, les scientifiques envisagent de tester ces anticorps thérapeutiques chez les patients NET, afin d’étudier leur efficacité pour inhiber l’expansion des biomarqueurs pathogènes – tels que les CTLs CD38+ - et entraver la course de la maladie.

Les chercheurs ambitionnent également de développer un test pronostique à la phase aigüe de la maladie, basé sur le suivi de ces clones cutanés. L’objectif : anticiper l’évolution de la maladie en vue d’une meilleure prise en charge de ces allergies médicamenteuses. A cet égard, un brevet a été déposé auprès l’office européen des brevets.

Source : Massive clonal expansion of polycytotoxic skin and blood CD8+ T cells in patients with toxic epidermal necrolysis patientsAxel Patrice Villani, Benoît Bensaid, Klara Kristin Eriksson, Amandine Mosnier, Floriane Albert, Virginie Mutez, Océane Brassard, Tugba Baysal, Mathilde Tardieu, Omran Allatif, Floriane Fusil, Thibault Andrieu, Denis Jullien, Valérie Dubois, Catherine Giannoli, Henri Gruffat, Marc Pallardy, François-Loïc Cosset, Audrey Nosbaum, Osami Kanagawa, Janet L. Maryanski, Daniel Yerly, Jean-François Nicolas et Marc Vocanson. Sciences advances (2021)

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