Outils

Actualité de l'ENS de Lyon

Ce que l’on sait de l’éruption du volcan Hunga Tonga – Hunga Ha’apai aux Tonga

logo The Conversation
Actualité
 

Article du 28 février 2022, paru dans le média en ligne The Conversation, dans le cadre du partenariat avec l'ENS de Lyon.
Par Pierre Thomas, Professeur émérite en Science de la terre à l'ENS de Lyon, membre du LGL-TPE.

Le 15 janvier 2022, à 17h10 (heure locale) eut lieu la plus violente explosion volcanique depuis celle du Pinatubo (Philippines) en 1991. Son Indice d’Explosivité Volcanique (VEI en anglais) est estimé entre 4 et 5 (sur une échelle logarithmique qui va de 0 à 8). Cela place cette éruption entre celle de la Montagne Pelée (Martinique, 1902 ; VEI de 4) et celle du Vésuve-Pompéi en l’an 79 (VEI de 5). Mais contrairement au Vésuve et à la Montagne Pelée qui dominaient des villes, l’éruption de 2022 eut lieu sur une île déserte, et il n’y eut aucune mort directe due à cette éruption.

Jusqu’en 2014, il y avait deux petites îles dans ce secteur de l’océan Pacifique : les îles de Hunga Tonga et de Hunga Ha’apai (cf fig 3 – 1). Ces deux îles correspondaient aux restes du sommet à peine émergé d’un ancien gros volcan dominant le fond de la mer d’environ 2000 mètres, gros volcan dont le sommet avait été détruit au XIᵉ siècle par une violente éruption avec explosion, effondrement et formation d’une caldeira (sous-marine). Une caldeira correspond à une dépression volcanique (un cratère) due à un effondrement souterrain.

Figure 1 : Une carte du plancher océanique montre les cônes volcaniques et la caldeira centrale.
Figure 1 : Une carte du plancher océanique montre les cônes volcaniques et la caldeira centrale. Author provided

Depuis ce XIe siècle, il semble qu’il n’y ait eu que de petites éruptions sous-marines donnant lieu à d’éphémères îles volcaniques vite détruites par l’érosion marine. La dernière de ces petites éruptions a eu lieu en 2009. Cette activité volcanique est à relier à celle de la « Ceinture de feu du Pacifique », où l’océan pacifique s’enfonce par subduction sous un continent (cas de la Cordillère des Andes) ou sous un autre secteur du Pacifique comme au niveau des Tonga. Les laves et cendres émises par ces volcans tongiens sont principalement andésitiques (d’une lave nommée andésite avec 60 % de silice et très fréquente dans les zones de subduction comme les Andes).

En décembre 2014 et janvier 2015 eu lieu une éruption plus importante que d’habitude. Un nouveau volcan (de plus de 100 m de haut) apparut en deux mois entre les deux îles (auparavant distantes de 2000 mètres) et les rejoignit. L’île unique de Hunga Tonga – Hunga Ha’apai était née (cf fig 3 – 2).

Les éruptions ayant bâti ce nouveau volcan étaient de type phréato-magmatique (encore appelé surtseyen). Le fond marin était constitué de cendres et autres roches poreuses imbibées d’eau de mer (nappe phréatique). L’arrivée d’un magma très chaud dans cette nappe phréatique a fait bouillir l’eau, qui avait du mal à s’échapper. La pression a augmenté et a cela génèré des explosions relativement « modérées » (comme une cocotte-minute dont la soupape serait bouchée. Une arrivée plus ou moins continue de magma a entrainé une série d’explosions qui se suivaient.

Après un repos de presque 7 ans, l’activité du Hunga Tonga – Hunga Ha’apai reprit le 20 décembre 2021. Il s’agissait encore d’éruptions phréato-magmatiques, plus violentes que celles de 2014-2015, et qui ont « agrandi et élargi » le nouveau volcan de 2014-2015 (cf fig 3-3). Avec des hauts et des bas, les éruptions phréatiques se succédèrent jusqu’au 11 janvier. Les autorités tongiennes émirent un avis de danger aux compagnies aériennes, et une alerte pour de possibles tsunamis. Les explosions cessèrent le 11 janvier, et les alertes furent levées.

L’éruption reprit avec plus de violence le 14 janvier vers 4h (heure locale), avec des colonnes éruptives de plusieurs kilomètres de large et de hauteur. Les autorités tongiennes relancèrent les alertes. Une image satellite prise le 15 janvier à 15h25 (cf fig. 3-4) montre qu’une bonne partie de l’édifice de 2014-2015 (agrandi entre le 20 décembre 2012 et le 11 janvier 2022) avait disparu. Ce même 15 janvier, à 17h10, débuta une phase explosive hyper-violente. L’onde de choc atmosphérique de cette explosion fut enregistrée sur toute la planète. Cette phase paroxysmale a duré 8 minutes avant de se calmer un peu, puis de cesser. Le panache plinien (appelé ainsi car bien décrit par Pline le Jeune lors de l’éruption de Pompéi en 79) atteint 15 à 20 km, s’étale sur plusieurs centaines de kilomètres. Le lendemain (16 janvier), les cendres atteignaient 31 km d’altitude. Une image satellite du 17 janvier montre que la totalité de l’édifice de 2014-2015, la majorité de l’ancienne île d’Hunga Tonga et 30 % de l’ancienne ile d’Hunga Ha’apai ont disparu. Une image satellite radar prise le 15 janvier au soir montre que ces disparitions ont eu lieu dans les minutes (ou heures) qui suivirent l’explosion de 17h10.

Figure 3 : Montage d’images satellite montrant le déroulement des évènements éruptifs de 2014 à 2022. 1 – Les deux iles d’Hunga Tonga et d’Hunga Ha’apaien en 2013, avant l’éruption de 2014-2015. 2 – Les îles réunies par l’éruption de 2014-2015. 3-L’éruption de 2021-2022 avait commencé, et le « nouveau volcan » de 2014-2015 avait doublé de surface. 4-Les fortes explosions qui avaient repris la veille avaient déjà détruit une partie du volcan de 2014-2015 agrandi le mois d’avant. 5 – Le panache provoqué par l’explosion du 15 janvier, 17h10, 20 à 30 mn après cette explosion.6-Image satellite de ce qui reste du volcan Hunga Tonga et d’Hunga Ha’apaien le 17 janvier, deux jours après l’explosion. GoogleEarth/NASA/Montage Pierre Thomas, Author provided

Tonga Volcano Eruption 2022-01-15 0410Z to 0550Z

Figure 4 : image animée montrant une série d’images prises par un satellite géostationaire le 15 janvier 2022 entre 17h10 et 18h50, passée en accéléré. À son maximum de dimension, le panache mesure environ 500 km de diamètre.

Que s’est-il passé ce 15 janvier 2022 à 17h10 ? On ne peut faire que des hypothèses vraissemblables, mais qui demanderont à être confirmées, modifiées, infirmées… après des études de terrains faites dans les semaines et mois qui viennent, en particulier après des études batymétriques pour connaître la nouvelle morphologie des fonds marins. Un magma andésitique très riche en gaz dissous remontait doucement sous le volcan. Sa pression interne diminuait quand il se rapprochait de la surface ; la solubilité du gaz diminuait ; le gaz se séparait du magma, formait des vésicules qui propulsaient le magma vers la “sortie”. Tout cela diminuait la densité du magma, ce qui diminuait la pression dans la colonne de magma… Une explosion surtseyenne peut-être plus violente que les autres aurait brutalement détruit le « bouchon » solide chapeautant le magma, ce qui aurait mis le magma riche en gaz au contact avec l’atmosphère, et donc à la pression atmosphérique, ce qui a entraîné une séparation explosive gaz/magma.

Le phénomène se serait alors « emballé » par « réaction en chaine » et “effet boule de neige”, et l’explosion cataclysmique est survenue. Le mélange gaz + magma éjecté vers le haut aurait incorporé beaucoup d’air chaud, ce qui l’a allégé et s’est transformé en un puissant panache ascendant : une éruption plinienne. Une énorme quantité de magma est donc sortie en quelques minutes, ce qui aurait créé un « vide » sous le volcan, vide qui se serait effondré. Explosion et effondrement ont complètement détruit le volcan de 2014-2015/2021-2022, détruit la majorité des deux vieilles iles du XIe siècle et sans doute agrandi la caldera du XIe siècle.

Les cendres émises par l’explosion ont recouvert les iles environnantes occasionnant de gros dégâts. L’Explosion et la probable formation de la caldera ont entrainé la formation d’une vague géante, un tsunami, qui s’est propagé dans tout l’océan pacifique. Il a rapidement atteint les iles peuplées des Tonga, puis les iles et côtes plus lointaines. Heureusement, l’alerte tsunami avait été et il n’y eu que peu de victimes.

Pierre Thomas, Professeur émérite en Science de la terre, ENS de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation France est un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant, qui propose des articles grand public écrits par des enseignants, des chercheurs et des doctorants, en étroite collaboration avec une équipe de journalistes expérimentés. L'objectif ? Éclairer l'actualité par de l'expertise fiable fondée sur des recherches.
L'ENS de Lyon a adhéré à The Conversation afin d'offrir à ses membres la possibilité de publier dans ce média. Chercheur, enseignant-chercheur, doctorant de l'ENS de Lyon ou affilié à l'un de ses laboratoires ? Pour plus d'information sur ce partenariat : The Conversation - mode d'emploi (accès réservé - intranet).


Revue de presse :

Disciplines

Mots clés

Collection