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Actualité de l'ENS de Lyon

Un nouveau modèle de formation de la croûte lunaire

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Communiqué de presse / Publication
 

Publication du LGL-TPE dans la revue Geophysical Research Letters. Communiqué de presse du 13 janvier 2022.

Dans une nouvelle étude publiée dans Geophysical Research Letters, deux scientifiques – Chloé Michaut de l’École normale supérieure de Lyon1  et Jerome A. Neufeld de l’Université de Cambridge2  proposent un nouveau modèle de cristallisation de l'océan magmatique lunaire.  Dans ce dernier, les cristaux restent en suspension à l'intérieur de la Lune et la formation de la croûte ne commence que lorsqu'une teneur en cristaux critique est atteinte.

Les grandes étendues blanchâtres sur la Lune visibles à l’œil nu, les Terres Hautes ou Highlands, sont essentiellement faites de roches nommées anorthosites, constituées à plus de 90% par un minéral léger et riche en Calcium, l’anorthite. Elles ont pu être échantillonnées par la mission Apollo 11 et datées avec des âges extrêmement primitifs (4.3 – 4.5 Ga). L’anorthosite est une roche que l’on trouve dans les chambres magmatiques fossiles sur Terre et qui est issue de la cristallisation fractionnée du magma dans ces chambres. Produire un tel volume d’anorthosite sur la Lune nécessite un océan de magma global.

Le scénario classique de solidification de l’océan de magma lunaire propose que cette croûte se serait formée par flottaison des cristaux d’anorthite légers en surface de l’océan de magma lunaire, les cristaux plus lourds d’olivine se sédimentant à la base de l’océan. Ce modèle de flottaison explique élégamment la formation précoce de ces Terres Hautes anorthositiques.

Schéma d’un océan de magma de type boue cristalline
Schéma d’un océan de magma de type boue cristalline
Schéma du modèle avec une croûte eutectique, une couche stagnante avec extraction de liquides mantelliques et un manteau convectif sous la forme d'une boue cristalline
© C. Michaut/J. A. Neufeld

De nombreuses météorites lunaires ont depuis été analysées et la surface de la Lune a été étudiée depuis l’espace. Les anorthosites lunaires apparaissent plus hétérogènes dans leur composition que ne le suggèrent les échantillons d'anorthosite ferreuses des missions Apollo, contredisant le scénario de flottaison où l'océan de magma lunaire est la source commune à toutes les anorthosites. La gamme d'âge des anorthosites ferreuses s’étale sur plus de 200 Ma, ce qui semble également difficile à concilier avec un océan de magma essentiellement liquide dont le temps caractéristique de solidification est inférieur à ~100 Ma. Une réévaluation de l'histoire de la solidification de cet océan de magma semble donc nécessaire.

Etant donné la faible gravité lunaire, la séparation cristal-liquide peut être difficile dans l’océan de magma qui convecte vigoureusement. Dans un article publié dans Geophysical Research Letters, deux scientifiques de l’École normale supérieure de Lyon et de l’Université de Cambridge ont examiné le cas où une boue cristalline persiste tout au long de la solidification de l'océan magmatique. Lorsque la teneur en cristaux dépasse un seuil critique, une transition rhéologique a lieu, en particulier, la viscosité du mélange devient fortement dépendante de la température.  Les mouvements de convection dans un matériel dont la viscosité dépend fortement de la température se produisent sous un couvercle ou couche stagnant(e) où la solidification est accentuée. Les auteurs suggèrent que c’est dans cette couche stagnante en surface que la croûte lunaire se forme, non par flottaison de cristaux légers d’anorthite, mais par extraction de liquides mantelliques plus légers. Ces liquides extraits dont la composition serait variable produiraient alors les anorthosites lunaires, expliquant leur diversité. Leurs résultats suggèrent que l'échelle de temps de la formation de la croûte est alors de plusieurs centaines de millions d'années, ce qui correspond aux âges observés des anorthosites lunaires.

Le magmatisme en série fut initialement proposé par d’autres auteurs comme un mécanisme possible pour la formation des anorthosites lunaires, mais de manière antagonique à l’idée d’un océan de magma lunaire. Ce modèle de boue cristalline proposé par Chloé Michaut et Jerome A. Neufeld pourrait finalement réconcilier cette idée avec celle d’un l’océan de magma lunaire global.

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet ERC CRUSLID (Formation, magmatic evolution and present-day structure of the CRUsts of Stagnant-LID planets) : Étudier l’évolution précoce des planètes telluriques.

Projet ERC "CRUSLID" de Chloé Michaut


Notes

  1. Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes, environnement (LGL-TPE – CNRS / ENS de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1)
  2. Centre for Environmental and Industrial Flows, Department of Earth Sciences, Department of Applied Mathematics and Theoretical Physics

Référence : Chloé Michaut and Jerome A. Neufeld, Formation of the lunar primary crust from a long-lived slushy magma ocean, Geophysical Research Letters (2022)
DOI : 10.1029/2021GL095408 [https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2021GL095408]

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