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Wolbachia manipule les spermatozoïdes d’insectes grâce à une toxine nucléaire

Spermatides de drosophiles en microscopie confocale - B. Loppin
Actualité / Publication
 

Publication du LBMC dans la revue Current Biology le 7 février 2022. Communication du CNRS-INSB du 21 février 2022.

La bactérie Wolbachia vit dans les cellules de nombreuses espèces d’insectes. Son succès planétaire est lié à sa capacité à envahir les populations via un mécanisme de sélection mystérieux appelé incompatibilité cytoplasmique. Une étude utilisant les modèles drosophile et moustique vient de montrer que Wolbachia charge les noyaux des spermatozoïdes d’une protéine toxique capable de tuer les œufs dès la première division embryonnaire. Ces travaux, menés par des chercheurs du Laboratoire de biologie et de modélisation de la cellule (LBMC - CNRS/Inserm/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1) et du Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier (CRBM - CNRS/Université de Montpellier), sont publiés dans la revue Current Biology.

Vivre dans les cellules d’insectes… Une adaptation remarquable mais qui impose une contrainte de taille pour ces bactéries incapables de survivre en dehors de leur hôte. Seuls les œufs permettent à la bactérie Wolbachia de passer d’une génération à l’autre, tandis que les mâles et leurs spermatozoïdes compacts sont une impasse. La reproduction sexuée, majoritaire chez les arthropodes, représente donc une loterie très coûteuse pour la bactérie, au moins en apparence.

Depuis une cinquantaine d’années, on sait pourtant que les choses sont bien plus complexes. Wolbachia est en effet à l’origine de l’Incompatibilité Cytoplasmique (IC), un syndrome de stérilité énigmatique qui rebat singulièrement les cartes. Dans l’IC, les mâles infectés produisent des gamètes capables de tuer les œufs non-infectés mais épargnent ceux qui contiennent la bactérie. Résultat : une capacité redoutable d’envahissement des populations d’insectes. Cette propriété est d’ailleurs mise à profit par le World Mosquito Program (www.worldmosquitoprogram.org) pour propager la bactérie chez les moustiques du genre Aedes, vecteurs des dangereux arbovirus tels que la dengue (Wolbachia est en effet capable de bloquer la transmission des virus par les moustiques, mais c’est une autre histoire).

Si la découverte en 2017 par des chercheurs américains de deux protéines responsables de l’IC, CidA et CidB, a marqué une avancée décisive dans la compréhension du phénomène, leur rôle in vivo restait à élucider. Dans cette nouvelle étude, les scientifiques montrent que CidA et CidB, issues de la Wolbachia du moustique Culex pipiens, se comportent comme un couple toxine-antidote dans les cellules de drosophiles où elles ont été étudiées. La toxine CidB y est efficacement neutralisée par son association avec l’antidote CidA, mais induit la mort cellulaire lorsqu’elle est exprimée sans son partenaire. Chez les mâles transgéniques exprimant CidA et CidB, les deux protéines sont associées dans les cellules germinales jusqu’à la spermiogenèse, le processus de différenciation des spermatides en spermatozoïdes. Une analyse cytologique très fine a montré que CidA est éliminée des spermatides pendant la transition histone-protamine (stade final de la maturation des spermatozoïdes), tandis que la toxine CidB s’accumule dans les noyaux des gamètes. A la fécondation, en l’absence de Wolbachia dans les œufs, CidB reste associée au pronucleus mâle et perturbe gravement la réplication des chromosomes paternels selon un processus encore en cours d’investigation. La conséquence de ces dommages réplicatifs est la perte des chromosomes paternels dès la première division et la mort de l’embryon. En présence de Wolbachia dans les œufs, l’expression de l’antidote CidA permettrait de neutraliser CidB avant la première phase S, point qui reste encore à étudier.

La transmission de la toxine CidB par les spermatozoïdes est le premier cas documenté d’un effet trans-générationnel induit par une protéine bactérienne. Il ouvre par ailleurs des perspectives nouvelles sur la compréhension moléculaire de ce nouveau système toxine-antitoxine, lui-même au cœur des stratégies de lutte contre la transmission des arbovirus par les moustiques vecteurs.

Référence : Paternal transmission of the Wolbachia CidB toxin underlies Cytoplasmic Incompatibility. Horard, B., Terretaz, K., Gosselin-Grenet, A., Sobry, H., Sicard, M., Landmann F., and Loppin, B. Current Biology, 7 février 2022
DOI: https://doi.org/10.1016/j.cub.2022.01.052

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