Outils

HISF5250 : Communautés et mobilités en Méditerranée de la fin du Xve au milieu du XVIIIe siècle"

HISF5250 : Communautés et mobilités en Méditerranée de la fin du Xve au milieu du XVIIIe siècle"

Communities and mobilities in the Mediterranean from the end of the 15th to the middle of the 18th century

Responsable(s) :
  • Frederic Abecassis
  • Claire Fauchon
Enseignant(s) :
  • Guillaume Garner
  • Boris Nogues

Niveau

M2

Discipline

Histoire

ECTS
4.00
Période
2e semestre
Localisation
Site Descartes
Année
2023

Public externe (ouverts aux auditeurs de cours)

Informations générales sur le cours : HISF5250

Content objectif

La division de l’espace méditerranéen, héritée du Moyen-Âge, en trois grandes aires religieuses et culturelles – la chrétienté latine, la chrétienté orthodoxe et l’islam – a perduré au cours de l’époque moderne. Mais cette division ne dessinait pas de blocs homogènes sur le plan religieux car existaient dans chacune d’entre elles des communautés d’une grande diversité. Elle ne se superposait pas non plus aux grandes entités politiques qui dominèrent la Méditerranée : l’empire ottoman englobait des populations chrétiennes ou juives, et les possessions des rois d’Espagne comportaient des minorités juives, musulmanes ou morisques. Cette mosaïque communautaire était alimentée par la présence de marchands étrangers qui rappelle que la Méditerranée fut autant un carrefour d’échanges et de circulations que le théâtre de rivalités et d’affrontements.

Ces communautés formaient des groupes marqués par un sentiment d’appartenance commune et par leur relation d’altérité par rapport à la population du lieu où ils étaient implantés (altérité soit revendiquée par eux, soit imposée ou déniée par les autorités ou la société majoritaire, selon les cas). Elles bénéficiaient d’une reconnaissance plus ou moins institutionnalisée dans des sociétés corporatives (communauté cultuelle, nation marchande, corps de garnison). Elles ressortissent donc à plusieurs concepts : celui de « nation », utilisé par les contemporains, désigne un groupe soudé par une même origine religieuse, géographique ou politique ; celui de minorité renvoie au nombre ou au statut juridique ; celui de diaspora attire l’attention sur la configuration archipélagique et le mode de fonctionnement réticulaire du groupe. La notion d’altérité, au coeur du sujet, doit être questionnée selon qu’elle relève de l’affiliation religieuse ou confessionnelle ou de l’appartenance politique (extranéité). Ces critères se prêtent à plusieurs agencements possibles. Les esclaves et les captifs ne seront abordés qu’en tant qu’ils pouvaient faire communauté. Les groupes dissidents et hétérodoxes ne sont pas inclus dans le sujet.

Comme le précise l’intitulé, le programme entend appréhender ces communautés à travers le prisme de la mobilité entendue selon trois modalités : le franchissement de la frontière religieuse par la conversion (que celle-ci découle d’une nécessité de survie, ou de stratégies d’intégration ou d’ascension sociale), l’émigration imposée par la contrainte politique, et les déplacements pour les besoins du commerce. Ces trois formes de mobilité conditionnent les contours, la projection géographique et la dynamique des communautés dans la durée.

On partira, en amont, des événements de 1492 (chute du royaume de Grenade, décret d’expulsion des juifs d’Espagne et de Sicile), qui reconfigurèrent en profondeur la géographie des communautés juives et musulmanes dans l’espace méditerranéen, tandis que la poussée vers l’ouest de l’empire ottoman plaçait un large ensemble de populations chrétiennes sous la domination islamique. En aval, le milieu du XVIIIe siècle marque un changement d’époque du fait du durcissement des relations entre catholiques et orthodoxes, de l’apparition de nouvelles puissances et de nouveaux acteurs en Méditerranée, du retrait des marchands séfarades au sein de la diaspora juive européenne.

Sur le plan géographique, la Méditerranée doit être envisagée à une double échelle : celle des États bordiers dont on ne retiendra que la politique à l’égard des communautés, et celle des espaces où ces communautés étaient installées et circulaient, de la péninsule Ibérique au Levant, des rives européennes et balkaniques au Maghreb, îles comprises, avec une attention particulière pour les villes portuaires.

Une des dimensions majeures de la question est de réfléchir au traitement réservé aux différentes communautés par les autorités politiques. Dans ce domaine, deux grands régimes sont observables : le refus (l’expulsion/conversion par décret), et la tolérance assortie de discriminations, avec dans ce cas des combinaisons diverses de mesures d’empêchement, de ségrégation, de protection et d’autorisation – les deux régimes pouvant d’ailleurs être associés. On analysera les causes, les objectifs, la mise en oeuvre de ces politiques et leurs conséquences sur le devenir des communautés, en prenant en compte la complexité des situations. On s’intéressera aux processus d’homogénéisation confessionnelle des populations – ou du moins des élites – comme aux considérations économiques ou militaires qui ont pu jouer sur le sort des communautés 

dominées. On portera également attention aux régimes légaux de protection accordés aux communautés, par exemple aux étrangers de passage, ainsi qu’à la diversité des juridictions et instances de règlement des conflits qui pouvaient être mobilisés par les hommes et les femmes de ces communautés. L’organisation institutionnelle de ces dernières à l’échelle locale est également au centre de la question, ce qui nécessite d’analyser leurs relations avec les autorités, les juridictions et la société environnante, mais aussi de s’intéresser aux rapports que les communautés nationales entretenaient avec les consuls à mesure que se développa cette fonction au XVIIe siècle. Il conviendra de donner toute sa place à l’étude des communautés sans État, comme les diasporas juive, grecque et arménienne, voire morisque, dont l’implantation, la structure et les dynamiques se prêtent à la comparaison à l’échelle de la Méditerranée.

Le programme invite à une histoire située, qui accorde une importance particulière aux espaces en jouant sur les échelles d’observation. Au niveau supra-communautaire des circulations entre territoires, États ou aires culturelles, on se penchera sur les modalités des déplacements dans l’espace, les moyens de communication, les solutions trouvées aux contraintes matérielles ou politiques pesant plus spécifiquement sur les « autres » : autorisations, étapes, moyens de transport, hébergement, usage d’une lingua franca, passeurs, intermédiaires et traducteurs. Dans la plus longue durée, on sera attentif aux phénomènes d’acculturation consécutifs à l’émigration ou au changement de religion, pour les groupes comme pour les individus. En resserrant la focale, on observera les villes où la présence de différents groupes permet d’éprouver la notion de « cosmopolitisme communautaire » (Francesca Trivellato) et où des transfuges étaient porteurs d’identités complexes ; à une échelle plus fine encore, les quartiers où se concentraient de manière spontanée ou obligatoire les membres d’une communauté, les bâtiments qui leur étaient propres (édifices cultuels et commerciaux, maisons consulaires), les bagnes, les cimetières.

La question s’appuie sur une abondante bibliographie disponible pour l’essentiel en français et en anglais, qui a connu, dans les deux dernières décennies, de profonds renouvellements historiographiques qu’il s’agisse des études sur les minorités religieuses, les conversions, les diasporas, les consulats, les réseaux marchands, les ports francs, les structures urbaines, notamment dans le monde ottoman. Cette historiographie faisant dialoguer des chercheurs et chercheuses de nombreux pays s’est développée dans une perspective résolument comparative à l’échelle de la Méditerranée, permettant de dépasser l’incommensurabilité supposée entre ses différentes aires culturelles.

La Méditerranée moderne est abordée dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire en 5e où le thème 3 porte sur le monde au temps de Charles Quint et de Soliman le Magnifique. Le traitement de l’hétérogénéité religieuse et des circulations à l’époque moderne profitera à la compréhension du programme de Seconde qui porte sur la Méditerranée médiévale. Il ne fait pas de doute, enfin, qu’historiciser la notion de communauté dans un espace fragmenté sur le plan religieux, ethnique et linguistique, mais uni par d’intenses circulations, pourra fournir un bagage solide de connaissances et d’éléments de réflexion en vue d’assurer l’enseignement moral et civique en collège et lycée.