Trois publications des chercheurs de l'ENS de Lyon au mois de septembre 2020.
Nos mères
Huguette, Christiane et tant d’autres, une histoire de l’émancipation féminine
Christine Détrez, Karine Bastide
Éditions La découverte
Christiane est née en 1945, Huguette en 1941. Toutes deux étaient institutrices. De Christiane, on ne savait rien : après sa disparition dans un accident de voiture, à l’âge de vingt-six ans, elle avait été effacée de l’histoire familiale et des albums photos. D’Huguette, au contraire, on détenait beaucoup : un livre publié, des manuscrits, des lettres, des articles de journaux, une correspondance avec Simone de Beauvoir… Tout cela enfermé dans des malles bien verrouillées.
Christiane et Huguette sont les mères des deux autrices. Au fil d’une enquête qui les a menées aux quatre coins de la France, mais aussi en Tunisie, celles-ci ont récolté des témoignages et des photos, retrouvé des archives, fait parler des courriers. Elles retracent la vie de ces deux femmes « ordinaires », dans ce moment charnière des années 1960, où les femmes se battent pour leur indépendance. Car, à raconter les parcours de Christiane et Huguette – de milieux sociaux très différents –, c’est toute une génération qui affleure : celle des Écoles normales d’institutrices, des « écoles-taudis », de la coopération, du féminisme, des aspirations à une vie meilleure, du rejet des carcans traditionnels.
S’il permet de comprendre les voies de l’émancipation et comment celles-ci varient selon le milieu d’origine et les capitaux culturels et économiques, ce livre est aussi une expérience : peut-on enquêter sur des sujets si proches, et lever, en sociologue, en historienne, des secrets de famille ? Que peuvent faire les sciences sociales de l’émotion, de l’intimité ? Enfin, cet ouvrage est une revanche contre l’effacement des femmes de l’Histoire, et des histoires.
L'art de chercher
Eric Dayre, David Gauthier
Éditions Hermann
En résonance avec la Biennale de Lyon 2019, l'Université de Lyon a organisé le 8 octobre 2019 un séminaire "Arts (ou art) de chercher : l'enseignement supérieur face a la recherche - création". L'ouvrage collectif issu de ce séminaire aborde la question des arts et de la création, de la recherche et de l'art dans les dynamiques des formations actuelles et de la recherche contemporaine, dans un grand nombre de domaines (lettres, arts, sciences humaines et sciences exactes).
En posant la question de l'expérimentation, de la transmission et de la reconnaissance, il présente des formations, des parcours et dispositifs, des programmes de recherche - création. Il fait également un point sur l'histoire épistémologique et la provenance de cette approche fondée sur l'idée que l'art "pense", ou s'oriente à coups d'actes et de formes comme une pensée en effet. Le volume tente ainsi de décrire toute l'importance et les conséquences de cette idée pratique dans l'ensemble des procédures, des enjeux et des grands paradigmes de l'enseignement et de la recherche aujourd'hui. Il suggère enfin quelques redéfinitions et changements institutionnels.
Le symptôme Bartleby sur le travail réticent
Sous la direction de Éric Dayre,Florence Godeau et Éric Hamraoui
Éditions Kimé
Partant de la théorisation de l’anti-pouvoir élaboré dans Bartleby le scribe d’Herman Melville, l’ouvrage explore la thématique de la réticence, distincte de la rétivité, de la dissidence et de la résistance. Originellement suppression ou omission d’une chose que nous devrions dire (en l’occurrence les paroles d’acquiescement aux ordres ou injonctions adressés à l’individu), la réticence contrevient aux lois d’un système d’organisation sociale.
Le zèle et l’enthousiasme aujourd’hui requis par la logique de production et de « performance » font planer une menace sur l’individu jugé acédique, voué au rejet pour cause d’inadaptation. Expoxée au risque d’être perçue comme une affirmation unilatérale, d’un droit de retrait, la manifestation de la réticence paraît inacceptable.
L’art et la littérature sont les lieux privilégiés où se reconfigure, s’exprime et se pense une relation « réticente » entre individu et travail, dans le contexte néo-libéral et « global » qui caractérise les politiques actuelles de l’emploi. Comment vivre sans travail ? Et comment vivre au travail ? Ces deux questions expriment la bipolarité extrême d’un même empêchement de vivre aujourd’hui lié aux conditions de travail et du travail. De cet empêchement, le symptôme récurrent est la réticence éprouvée face aux conditions proposées d’exercice de l’emploi, à l’attitude de l’employeur et de partenaires sociaux consentants.
La notoriété du héros melvillien n’est pas le résultat d’un hasard. Il y a dans cette nouvelle quelque chose de symptomatique, un « symptôme Bartleby » qui a touché le XXe siècle et qui continue à nous concerner aujourd’hui. Cet ouvrage a donc pour ambition de rendre compte des raisons profondes, de la logique intérieure de cette influence et d’en comprendre du même coup les prolongements. La réticence a de l’avenir, qu’est-ce à dire ?
Mots clés