Agenda de l'ENS de Lyon

Une scène d’opéra et un centre de réhabilitation (Sol Negro) ; la forêt amazonienne et le soap opera Dynasty (El Laberinto) ; une université abandonnée de Bogota et le portrait d’un jeune transgenre (Jeny303). Ces télescopages et combinatoires – entre quête documentaire et dérive hallucinatoire, culture populaire et savante, traces du contemporain et réminiscences généalogiques – sont au cœur du travail de l’artiste franco-colombienne Laura Huertas Millán. Ses « fictions ethnographiques » explorent d’autres façons de faire fable, en alliant les ressources du cinéma (des puissances narratives fictionnelles au jeu expérimental sur le médium) au champ de l’ethnographie (notamment à partir de terrains collaboratifs et d’histoires orales) afin de déplacer les imaginaires. 

Ma pratique cinématographique a commencé par une série de films sur la notion d’exotisme, avec un regard très critique sur l’iconographie de l’anthropologie, enracinée dans les processus et les récits coloniaux. En observant ces constructions de l’« altérité », en particulier les premiers récits des voyageurs européens dans les Amériques, j’ai commencé à considérer l’ethnographie comme une forme de narration. Cette approche critique s’est lentement transformée et nuancée lorsque j’ai réalisé comment les anthropologues contemporains (dont certains originaires du Sud) ont intégré la fiction dans leur discipline afin de la décoloniser. « L’anthropologie est prête à assumer pleinement sa nouvelle mission d’être la théorie/pratique de la décolonisation permanente de la pensée », a déclaré Eduardo Viveiros de Castro. C’est dans l’ambivalence et le paradoxe de la fiction ethnographique, entre déconstruction et réinvention, que j’ai développé mes films ces dernières années.

Laura Huertas Millán est une cinéaste et artiste visuelle franco-colombienne dont la pratique se situe à l’intersection entre le cinéma, l’art contemporain et la recherche. Formée aux Beaux-Arts de Paris et au Fresnoy, elle est aussi titulaire d’un doctorat mené entre le SACRe (PSL) et le Sensory Ethnography Lab (Harvard). Son travail est présenté à l’international dans les cinémathèques, festivals et centres d’art contemporain (dont, en ce moment, au sein de l’exposition « Formes de la ruine » du Musée des Beaux-Arts de Lyon). 

Élodie Tamayo est maîtresse de conférences en cinéma à l’ENS Lyon et rédactrice aux Cahiers du cinéma.