On partira de l'idée que le corps constitue le point de contact par excellence de la subjectivité et du pouvoir : le corps s'organise en une multiplicité de fonctions, d'usages, d'affects, en rapport étroit avec l'organisation de la société elle-même. Le corps est objet d'un bio-pouvoir, d'une anatomo-politique (Foucault, Histoire de la sexualité, I) qui organise dans l'espace les corps, tente d'extraire d'eux un maximum d'efficacité en un minimum de temps (Surveiller et punir) ; le corps se sexualise en s'aliénant aux dispositifs du capitalisme, principe de rendement et sur-répression des instincts, telle la subjectivité bourgeoise dont la libido se concentre dans l'appareil génital (Herbert Marcuse, Eros et civilisation) ; et face à cette organisation qu'il subit, le corps "souffre d'être ainsi organisé", désire une autre organisation, "ou pas d'organisation du tout" (Deleuze et Guattari, L'Anti-Oedipe, p. 14).
Dans sa Lettre à Marcella, Porphyre invite sa compagne à se déprendre de l'organisation de son corps ("ne te préoccupe pas de savoir si tu es mâle ou femelle de corps, ne te considère pas comme une femme") : Marcella, jusque-là "démembrée" car dispersée dans la multiplicité des fonctions organiques, doit se rassembler elle-même "loin du corps", et réunifier son pouvoir jusque-là disséminé dans les organes (chap. 10). C'est-à-dire qu'elle doit penser, depuis un site neutre où la détermination sexuelle tombe, et penser, non en femme ou en homme, l'Être dans sa totalité. Ce site, c'est l'âme, qu'il s'agit d'organiser par elle-même en résistant à l'influence magique du corps et de la nature, jusqu'à en faire le "corps de l'intellect".
On lira attentivement quelques textes de la Lettre, en s'interrogeant sur le rapport au corps qui s'y dévoile. Peut-être semblera-t-il encore trop métaphysique, ascétique, négativement politique, mais justement, capable pour cela même de faire ressortir, par contraste, la force de certaines pensées du corps plus proches de nous, ou précisément de jeter une lumière sur un fond métaphysique, ascétique, apolitique, avec lequel elles n'en ont pas fini de s'expliquer.
