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Actualité de l'ENS de Lyon

Comment obtenir de grandes jambes

Insectes aux longues pattes © Abderrahman Khila
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Les traits sexuels secondaires exagérés, comme les bois des cervidés ou la queue du paon, jouent un rôle important dans la sélection sexuelle car ils augmenteraient l’attractivité ou la dominance des mâles qui les portent. Les scientifiques ont découvert que, chez les mâles d’une punaise d'eau, un gène appelé BMP11 régule la croissance extrême de la patte chez les mâles dominants qui l'utilisent comme arme pour dominer un territoire d’accouplement. Ce même gène augmente aussi l’agressivité des mâles dominants, montrant que des traits morphologiques et comportementaux peuvent partager la même base génétique.

Publication de l'IGFL dans Plos Biology le 11 mai 2021. Communication du CNRS-INSB le 12 mai 2021.

 

La sélection sexuelle, initialement formulée par Darwin dans son livre The decent of man, est un processus qui génère au cours de l’évolution une divergence, parfois spectaculaire, entre les deux sexes d’une même espèce. L’effet de la sélection sexuelle est manifeste sur certains traits sexuels secondaires, dits exagérés, qui sont répandus dans la nature ; tels que les bois de cervidés, la queue du paon ou les cornes des mâles scarabées. Ces caractères sexuels exagérés se développent souvent selon une relation, dite d’hyper-allométrie, selon laquelle le trait croît de manière disproportionnée par rapport au corps. Ce phénomène peut être étudié en déterminant la pente d’allometrie (rapport de la taille du trait étudié par rapport à celle du corps) dans une population d’individus de la même espèce. Les traits sexuels exagérés sont caractérisés par une pente d’allométrie d’une valeur supérieure à 1.  Ils jouent un rôle important dans la reproduction en augmentant l’attractivité des femelles pour les mâles qui les portent.

Males normaux / Mâles BMP11
Males normaux : Un grand mâle dominant garde l’objet flottant utilisé par les femelles pour pondre les œufs. Un petit mâle s’approche pour rentrer en compétition pour l’objet flottant. Le mâle dominant d’un coup de patte arrière (trait exagéré) envoi le rival s’envoler loin de l’objet. Note : les femelles s’accouplent toujours avec le mâle qui garde l’objet avant de pondre leurs œufs.
Mâles BMP11 : Ce sont des mâles auquel nous avons inactivé le gène BMP11. Il en résulte des mâles de petite taille mais surtout avec de pattes arrière plus courte que d’habitude. Ces mâles s’agglomèrent autours d’une même femelle (au milieu) et essayent de s’accoupler sans montrer de l’agressivité envers les autres mâles. © William Toubiana.
 

Bien que ce phénomène attire l’attention des scientifiques depuis des siècles, nos connaissances sur les mécanismes génétiques et développementaux qui favorisent l’évolution de ces traits restent modestes. Dans ce travail, les scientifiques ont étudié les mécanismes évolutifs et génétiques favorisant la croissance exagérée des pattes postérieures chez les mâles d’une punaise d’eau appelée Microvelia longipes. Les mâles dominants possèdent des pattes faisant trois fois la taille de celles d’autres mâles, et utilisent ces pattes comme arme pour défendre leur territoire d’accouplement. Les chercheurs ont découvert qu’un gène appelé BMP11 (Growth differentiation Factor 11) est impliqué dans la régulation de la relation de croissance entre les pattes et le corps chez le mâle mais pas chez la femelle. Lorsqu’on inactive BMP11 expérimentalement, la croissance du corps chez les mâles et les femelles se trouve ralentie et les individus qui résultent de cette expérience sont plus petits que la moyenne. Cependant, les mâles issus de cette expérience ont des pattes significativement plus courtes que la normale alors que les pattes des femelles ne montrent proportionnellement aucun défaut de croissance. Ce rôle de BMP11 dans la régulation du trait exagéré (taille des pattes) est spécifique à Microvelia longipes, puisque le même gène n’a pas d’effet sur l’allometrie des pattes et du corps chez d’autres espèces.

Les mâles de Microvelia longipes entrent en compétition pour les femelles de manière intense car la fréquence de combats entre males est dix fois plus élevée qu'avec une espèce proche appelée Microvelia pulchella. Comme BMP11 est impliquée dans la croissance de la patte qui, elle-même, est utilisée comme arme dans les combats de dominance entre mâles, les chercheurs ont testé l’hypothèse selon laquelle ce gène aurait aussi un rôle dans l’agressivité. Pour ce faire, ils ont observé le comportement de mâles chez lesquels le gène BMP11 a été partiellement inactivé. Étonnamment, ces mâles ne s’engagent plus dans les combats pour défendre leur territoire ; ils s’agglomèrent autour d’une même femelle pour essayer de s’accoupler, ignorant les mâles rivaux. Cette observation montre que ce gène a non seulement un rôle dans le développement de la patte utilisée comme arme par les mâles, mais régule également le comportement lié à son usage dans les combats.

Cela démontre qu’un gène développemental comme BMP11 peut être impliqué dans de multiples caractères dont la combinaison favoriserait le succès reproductif chez les mâles et l’apparition de traits sexuels secondaires exagérés.

Source : The growth factor BMP11 is required for the development and evolution of a male exaggerated weapon and its associated fighting behavior in a water striderToubiana W, Armisen D, Viala S,  Decaras A, Khila A. Plos Biology, 11 mai 2021. 

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