Publication du Laboratoire de Physique et du LIP dans la revue PRX Quantum, le 18 avril 2023. Communication du CNRS-INP du 13 juin 2023.
Des chercheurs du Laboratoire de Physique de l’ENS de Lyon (LPENSL, CNRS/ENS de Lyon) et du Laboratoire de l'Informatique du Parallélisme (LIP, CNRS/ENS de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1/Inria) montrent dans un article récent qu’il est possible d’étendre de façon cohérente la thermodynamique, conçue initialement pour décrire les échanges d’énergie entre systèmes macroscopiques, à des systèmes extrêmement petits, où les fluctuations et les propriétés quantiques sont dominantes et dotent ces échanges de caractéristiques complètement nouvelles. Une étude parue dans la revue PRX Quantum.
La thermodynamique est une théorie physique développée au cours du XIXe siècle dans le but de rationaliser le développement empirique des machines à vapeur, qui avait débuté au siècle précédent. L’objectif était de transformer le plus efficacement possible de la chaleur, énergie incontrôlée produite par la combustion de charbon, en mouvement – pour faire avancer les locomotives par exemple. Jusqu’à aujourd’hui, optimiser la transformation de chaleur en énergie "utile" (appelée également "travail"), comme le déplacement d'un véhicule ou la fabrication d'un courant électrique, reste une des applications majeures de la thermodynamique, dont les concepts se retrouvent par ailleurs au cœur de tous les grands domaines de la physique macroscopique moderne. Néanmoins, la recherche dans ce domaine a pris un nouveau tournant depuis quelques décennies, quand les scientifiques ont voulu décrire les échanges d’énergie impliquant des systèmes microscopiques comme des molécules et des brins d’ADN individuels. À ces échelles, les fluctuations, conséquences des chocs désordonnés que les molécules ont entre elles (et qui sont la vraie nature de ce que, macroscopiquement, nous appelons la température) sont dominantes, et la généralisation au monde microscopique des concepts thermodynamiques ne va pas de soi. Encore plus récemment, la « seconde » révolution quantique, liée aux progrès faits dans la manipulation précise d’objets élémentaires (électrons, atomes, photons...), a attiré l’intérêt des physiciens vers l’élaboration d’une thermodynamique qui s’appliquerait aux systèmes quantiques. Ceux-ci possèdent des propriétés uniques, comme par exemple l’émergence de fluctuations quantiques, forme d’incertitude fondamentale qui persiste même en cas de contrôle parfait sur le système, ou encore les superpositions cohérentes, pour lesquelles le système quantique se retrouve "simultanément" dans plusieurs états différents.
Dans un travail récent, des chercheurs du Laboratoire de Physique de l’ENS de Lyon (LPENSL, CNRS / ENS de Lyon) et du Laboratoire de l'informatique du parallélisme (LIP, CNRS / ENS de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / Inria) se sont intéressés au problème de la formulation d’une thermodynamique à l’échelle quantique, en présence de ces phénomènes sans équivalents dans le monde classique. Ils ont montré qu’il est possible de développer un formalisme permettant de définir sans ambiguïté les notions thermodynamiques de chaleur et travail pour des ensembles de systèmes quantiques en interaction, et ce quels que soient leur taille et leur état. De plus, en identifiant l’énergie non thermique contenue dans un système, la théorie développée permet de quantifier toutes les ressources du monde quantique qui peuvent être utilisées comme du travail. Cela comprend des propriétés analogues aux systèmes classiques, comme le fait de comprimer un ressort, mais aussi des propriétés purement quantiques comme les superpositions cohérentes d’états d’énergies différentes. Une des conséquences étonnantes de ces résultats est que tout système quantique peut se comporter comme une source simultanée de travail et de chaleur.
Pour illustrer cette nouvelle physique, ils proposent une "machine" compacte où un qubit A (système quantique de base utilisé notamment par les ordinateurs quantiques) est refroidi (son entropie diminue strictement) grâce au travail fourni par un deuxième qubit B, plus chaud que A. Le refroidissement est donc possible grâce au travail fourni par le qubit B en consommant des ressources « non thermiques » (dans notre cas une superposition cohérente d’états d’énergies différentes). Par comparaison aux réfrigérateurs conventionnels classiques (ou bien aux réfrigérateurs “quantiques” conçus jusqu’à présent), composés d’un bain thermique froid, d’un bain thermique chaud et d’une source de travail, tout se passe comme si A jouait le rôle du bain thermique froid, et B jouait simultanément le rôle du bain chaud et de la source de travail.
Ces résultats ouvrent la voie à la réalisation de machines thermiques élémentaires extrêmement compactes qui pourraient être utilisées par des appareils quantiques comme source d’énergie ou système de régulation des flux d’énergie et d’entropie. De possibles applications en biologie autour de la modélisation des moteurs cellulaires et de la captation d’énergie solaire sont également envisageables. Ces résultats sont publiés dans la revue PRX Quantum.
Référence : Extending the Laws of Thermodynamics for Arbitrary Autonomous Quantum Systems. Cyril Elouard et Camille Lombard Latune. PRX Quantum, 18 avril 2023.
DOI : 10.1103/PRXQuantum.4.020309
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