« Croque-mort langoureux », « paresseux à effusions gracieuses » et « maître des gandins » : Musset incarne, selon Baudelaire, l’inverse de la « vraie poésie ». De tels anathèmes inviteraient à opposer ces auteurs et à considérer l’année 1857, qui voit succéder la publication des Fleurs du mal à la mort de Musset, comme la frontière symbolique entre le romantisme et la modernité poétique. Une continuité existe pourtant entre ces deux poètes indépendants qui, l’un comme l’autre, refusent précisément d’être rattachés à une école. Désireux de se distinguer de leurs contemporains et de rivaliser avec leurs prédécesseurs, Musset et Baudelaire pratiquent un dandysme provocateur et une écriture singulière où la tradition se mêle à l’innovation poétique. Mais de telles explorations littéraires sont également le signe de leur mélancolie, appelée « mal du siècle » par Musset et « spleen » par Baudelaire : en interrogeant les absolus du premier romantisme à l’aune de leur expérience de la modernité, ils remettent en question les certitudes poétiques et philosophiques de leurs aînés. La débauche, la folie et le scepticisme dépeints dans leurs œuvres reflètent un présent dysphorique où la désillusion semble l’avoir emporté ; pourtant, une forme surprenante de beauté émerge de cette tension irrémédiable entre l’idéal et le réel. Chacun à leur manière, les deux poètes proposent donc un témoignage à la fois intime et générationnel, où le lyrisme se mêle à l’ironie pour renouveler l’expression poétique. Produit de ces contradictions fertiles, le romantisme moderne de Musset et Baudelaire les réunit ainsi, en dépit de leurs différences, de part et d’autre du siècle.
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